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Une jeune artiste loin de son pays, ne rêve que de suivre les traces des grands maitres du vitrail, son nom est Song Sing-sing. Elle est douée cette petite, mais encore timide, elle manque de confiance en elle. Pour convaincre un maitre Coréen dans cet art, de la prendre comme apprentie, elle parcoure les grands sites d’Europe. Ses parents se sont laissés convaincre, alors elle s‘offre ce voyage initiatique. C’est ainsi que la jeune femme suit la trace du maitre jusqu’en France.
Jamais elle n’a réussi à aborder celui qu’elle espère pour mentor, celui qui peint sur le ciel. Mais aujourd’hui c’est décidé, elle va oser. C’est le premier jour de son exposition, c’est maintenant ou jamais. Pour se donner du courage, elle se recueille dans la cathédrale de Chartres, brule un cierge à la dame. En quelques mots, elle lui ouvre son cœur, demande son soutien.
– Quel magnifique bleu ! s’exclame-t-elle, en admirant les vitraux les uns après les autres. Dès que je peux, je m’inscris à l’atelier du vitrail. Je veux apprendre des verriers de cette cité, je veux comprendre, maitriser le bleu de Chartres.
Forte de cette résolution, gonflée à bloc, Sing-sing se rend à l’exposition. C’est jour de vernissage, enfin elle va le rencontrer. À moins qu’un caprice du destin ne s’en mêle. Sing-sing a programmé de longue date sa venue dans cette ville. Cela fait partie de ses étapes incontournables et l’occasion de faire d’une pierre deux coups est trop belle.
Ce matin-là, Sing-sing s’est apprêtée pour ce jour. Sa garde-robe est en grande partie restée à Séoul, pourtant elle n’est pas sans rien. Pour être belle, faire son petit effet, un tailleur bleu, jupe courte, veste ouverte, une tenue qui va de soi. Un chemisier blanc et des bottines bleues elles aussi. Maquillée juste ce qu’il faut, pour être pimpante sans trop se faire remarquer. Par chance, de nombreux touristes de toutes nationalités fréquentent la ville. Cela lui permet de déambuler sans attirer l’attention, ce sont des moments qu’elle apprécie beaucoup.
Hélas pour elle, à l’exposition les visiteurs sont très nombreux, tous espèrent s’entretenir avec le maitre du vitrail. Il est très entouré, cerné de toutes parts. Impossible pour la jeune artiste de l’aborder.
– Sing-sing, prend ton courage à deux mains, se morigène-t-elle.
Trop tard, un couple vient de la coiffer au poteau. Elle fait un quart de tour sur elle-même, fait un détour, s’approche d’un vitrail surmonté d’une magnifique rosace multicolore. Dehors le temps est entre pluie et soleil, Sing-sing est arrivée entre deux averses. Soudain, un arc en ciel se forme, baigne la rosace de ce vitrail de multiples tons irisés. Alors que ses couleurs resplendissent, elle se sent mystérieusement attirée et pose son index droit sur le verre illuminé.
Horreur, malheur ! Son doigt traverse, avec stupéfaction elle constate que la surface miroite, devient malléable, comme liquéfiée. Dans un effort désespéré, elle tente vainement de retirer son doigt, rien n’y fait. Le bleu du vitrail l’attire inexorablement, sa main suit le même chemin, puis à son tour son bras traverse le verre. Est-ce la faute aux rayons du soleil ? à moins que ce ne soit un sortilège issu des temps anciens. Une magie qui réside en ces lieux chargés d’histoire. Sa gorge est nouée, aucun cri de quitte celle-ci, lorsque tout le reste de son corps est aspiré par le vitrail.
Sa vaine tentative pour s’extirper du piège de verre, se solde par une extraordinaire et incroyable métamorphose. La voilà maintenant prisonnière du vitrail.
– Aidez-moi, je vous en supplie ! hurle-t-elle, en tambourinant de ses points rageurs sur le vitrail.
Mais hélas toutes les personnes qui s’approchent, admirent l’œuvre, ne la voient pas, ni ne l’entendent crier. Hélas pour elle, personne non plus n’a remarqué ce qui s’est passé. L’émotion est trop forte, ses nerfs cèdent, des larmes coulent sur ses joues. La voilà qui s’effondre, hébétée sur le sol dallé d’une salle sombre, qui n’existe pas dans notre réalité. Lentement, insidieusement, l’horreur de la situation la frappe durement.
– Je suis prisonnière du vitrail, soupire-t-elle. Je suis passée de l’autre côté, dans l’envers du décor.
Prostrée, Sing-sing ne sait plus que faire. Tout devient illusoire, elle va dépérir dans sa prison de verre.
Les heures passent. Épuisée par ses vaines tentatives, Sing-sing somnole. Les visiteurs sont partis, la nuit est tombée. Seules les lumières d’appoint sont actives, elles baignent l’au-delà du vitrail d’une lueur blafarde.
– Venez à moi, ne trouillez pas jeune damoiselle, susurre une voix éraillée fort lointaine. J’attends depuis si longtemps.
– Qui parle ? sursaute Sing-sing, en scrutant la pénombre. Je n’ai pas peur.
Elle fait la fière, joue les bravaches ; pourtant elle a vraiment la trouille. La voix désincarnée semble venir du fond de la salle, à l’opposé du vitrail. La jeune artiste hésite, peut-elle s’en éloigner sans risque ? L’œuvre de verre coloré est son seul lien avec la civilisation ; avec un éventuel salut.
– Moi, réplique la voix d’un ton suave. Vous pouvez m’appeler Charabias le mage. Venez ! Venez à moi, je peux vous aider.
– Vraiment ! s’exclame-t-elle, d’une voix étonnée. Moi, c’est Song Sing-sing.
En réalité, ce n’est pas l’espoir que fait naitre en elle la voix mystérieuse qui la surprend. Mais le fait qu’elle comprenne et parle la même langue. Elle l’étrangère, la Coréenne, qui ne parle que quelques mots de Français, se sent véritablement à l’aise avec ce langage. Langage qui dans les temps anciens, se nommait le vieux François.
– Oui vraiment, jeune damoiselle Song. Si ce que vous cherchez, est de vous esbigner, alors je le peux.
Avec un léger temps de réponse, les termes anciens obtiennent une traduction dans sa tête et donnent sens à la conversation. Trouiller pour avoir peur, esbigner pour se sauver. La voix se dit celle d’un mage, donc c’est un magicien ou un sorcier. Ce qui reste encore à confirmer. Toujours est-il que pour l’heure, il lui donne du damoiselle et se montre avenant.
N’ayant d’autre solution que de faire confiance à la voix, elle se lève et se décide à aller à sa rencontre. Lents au début, puis de plus en plus volontaires, ses pas la mènent vers la lueur blafarde. Sous ses pieds les dalles perdent de leur perfection, elle doit faire attention pour éviter les faux pas. Ce n’est pas le moment de se tordre une cheville, ou de faire une mauvaise chute.
– Song est mon nom de famille, vous pouvez m’appeler Sing-sing. Dans mon pays le nom de famille se place toujours en premier.
– Je comprends, alors bienvenue dans mon antre jeune Sing-sing, annonce la voix quand elle traverse le champ de pâle lumière.
Un vieil homme, grand par la taille, vêtu d’une robe de bure déchirée par endroits, rapiécée à d’autres ; la regarde en souriant. Ses cheveux filasse sont d’un blanc neigeux, sa peau est toute fripée. Elle fait penser à du vieux parchemin, signe qu’il est certainement d’un grand âge. Des sourcils broussailleux, de grands yeux gris acier qui vous transpercent le corps jusqu’à votre âme ; et un nez volontaire, que vient souligner une grimace qui se veut être un sourire bienveillant. Le vieil homme ne parait pas bien méchant, mais sa présence en ces lieux est quelque peu étrange et déstabilisante.
Ses mains sortent de ses amples manches, elles sont maigres, presque décharnées. Son corps masqué par la vieille toile, ne doit pas être dans un meilleur état.
– Je suis désolé de vous accueillir dans un tel affublement, dit Charabias. Soyez sans crainte, je ne baille pas à mal.
Devant le visage pensif de la jeune damoiselle, il se reprend.
– Fol dingo que je suis, moi qui n’ai pas parlé à quelqu’un de vivant depuis des siècles, voilà que je m’exprime par trop de mots à l’ancienne ; avec tout plein de mots en vieux langage.
Charabias accentue son sourire, joint les mains devant sa bouche en forme de prière, pour se faire pardonner.
– Je disais donc Gente damoiselle, que je ne suis qu’un pauvre fou, vêtu de bien piètres vêtements, un vieux mage qui ne vous veut aucun mal, aucune misère.
À voir la lippe que Sing-sing affiche et sa moue dubitative ; elle n’en croit pas un traitre mot. Aussi se met-il à son tour, à la détailler de la tête aux pieds. La jeune donzelle a de longs cheveux bruns, des yeux étirés, un peu comme des amandes, de grands sourcils et un nez droit. Ce qui marque le plus dans son visage ovale, c’est sa bouche étirée et sa tendance à s’en servir pour faire la moue et des grimaces, plutôt que pour sourire.
Charabias, se doit bien de reconnaitre que la situation ne prête pas à rire ; ce qui explique certainement l’attitude de la visiteuse. Alors qu’elle s’approche, il remarque enfin à la faible lueur des chandeliers, le teint de sa peau. Cela pique sa curiosité et il ne résiste pas à la questionner.
– D’où arrivez-vous ? De quelle lointaine contrée êtes-vous originaire ? Je vois souvent des étrangers présents dans les vitraux de la cathédrale. Des sarrazins, des africains, mais pas des minois pareils au vôtre. Sans pour autant pouvoir savoir qui ils sont. J’ai vu aussi des tas d’affublements et je trouve vraiment qu’à travers les siècles la décence et le respect se perdent.
Sing-sing est surprise par tant de questions, alors qu’elle en a tant à lui en poser elle aussi. Pourtant, elle accepte d’y répondre de bonne grâce, mais le mot siècles crée une drôle de résonnance dans sa tête. Se peut-il qu’il soit si vieux ?
– Je viens du pays du Matin calme, annonce-t-elle, en désignant un point imaginaire derrière elle. Pour ce qui est de mes vêtements, c’est la mode actuellement. Regardez-vous, on dirait un mendiant.
Évidemment, il y a là de quoi sidérer le vieil homme, de l’offusquer aussi. Il ne doit pas avoir souvent rencontré de jeune femme habillée d’un tailleur de bonne coupe, dont la jupe courte, se termine bien au-dessus des genoux. De quoi interloquer ce vieux solitaire, resté encore aux temps anciens.
– Et puis quoi ! pense-t-elle, en accentuant sa moue. Je suis jeune et j’aime m’habiller court, il n’y a vraiment pas de mal à cela.
Charabias voit bien à sa mine renfrognée, que la damoiselle à la tête près du bonnet. La vexer serait dommage, elle a tant de choses à lui apprendre. Il ferait mieux de se montrer agréable, pour qu’elle accepte de tout lui raconter. En plus, elle est plaisante à regarder, ce qui ne gâche rien. Perdu dans ses réflexions, il ne remarque pas que Sing-sing met ses poings sur les hanches et qu’elle lui parle.
Depuis sa plus tendre enfance, Sing-sing se sert de ses poings rageurs, pour montrer sa désapprobation ; et de sa moue boudeuse, réhaussée de petits cris, pour amadouer son entourage. Si Appa fond littéralement devant sa fille et se laisse facilement convaincre, Eomma, elle, ne s’y laisse jamais prendre.
– J’ai vergogne de vous parler ainsi et de ne pas vous ouïr, déclare le mage, d’un ton avenant. Je vous écoute.
– N’ayez pas de honte, je suppose que c’est l’âge, ironise Sing-sing, en savourant sa petite vengeance verbale. Je vous en prie, soyons amis et dites-moi où nous sommes.
Sing-sing s’en veut de son attitude, de son manque de respect, mais elle a tellement les nerfs à fleur de peau. Sans compter qu’une peur insidieuse la tenaille et que le vieil homme est peut-être la cause de ses malheurs.
– Je vais vous répondre jeune curieuse, nous sommes piégés dans l’entre-deux-mondes.
La réponse lui glace les sangs, c’est pire que ce qu’elle croyait. Dans son for intérieur, elle s’est persuadée que le vitrail est un passage secret. Passage qui mène dans la cathédrale, en un lieu ignoré de tous.
Mais à l’entendre, il n’en est rien.
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