L’incendie de l’Opéra-Comique

L’incendie de l’Opéra-Comique (1887) – 116 morts et plus de 200 blessés…

En cette soirée du 25 mai 1887, prêt de 1600 personnes se trouvent dans la salle Favart de l’Opéra-Comique de Paris. Au programme « Le Chalet » d’Adam est prévu en lever de rideau. Cette pièce sera suivie de « Mignon » d’Ambroise Thomas, une œuvre très prisée du public. À 20h30, l’orchestre de l’Opéra-Comique attaque l’ouverture de « Mignon » pour la plus grande joie des spectateurs. Les gens applaudissent déjà cette œuvre magnifique, créée en 1866 par Célestine Galli-Marié, qui fut alors la première Carmen. L’Opéra-Comique est alors situé place Boieldieu, dans le second arrondissement de la capitale.

L’enfer se déchaîne…

Vers 20h50, alors que Mademoiselle Simonet est sur scène et interprète le rôle de « Mignon », un fort grésillement se fait entendre. Une herse à gaz vient d’enflammer un décor du plafond et des débris incandescents tombent sur les artistes. Le public, très inquiet, commence à se lever pour gagner la sortie. D’autant qu’une épaisse fumée commence à entourer la scène. Peu après, un grand châssis et des toiles en feu arrivent au beau milieu de la scène. En quelques minutes l’incendie fait rage. La fumée et les flammes envahissent une grande partie de la salle. La panique est indescriptible. Spectateurs, artistes et musiciens se précipitent sur les sorties. En raison de l’exiguïté des couloirs et des escaliers, la progression de cette véritable marée humaine est très lente. La panique, cette implacable alliée des catastrophes, est à son comble. Les gens se bousculent sans ménagement, les malheureux qui tombent au sol sont piétinés par des dizaines de fuyards… Le commissaire de police Véron, qui est de service à ce moment, car la présence d’un commissaire avait été rendue obligatoire à la suite de plusieurs catastrophes dans des théâtres, tente de faire évacuer la foule dans le calme. Peine perdue ! Les gens sont affolés et ne l’écoutent pas. Il parviendra cependant à faire sortir une petite poignée de spectateurs alors réfugiés dans un coin de l’amphithéâtre, les sauvant ainsi d’une mort certaine. Peu après, le gaz est coupé et le bâtiment se trouve plongé dans l’obscurité la plus totale. Seules les lueurs de l’incendie apportent un peu d’éclairage. Tout le monde s’attend à voir déferler des trombes d’eau, mais rien ne se produit ! Pourtant, cet établissement classé dispose alors de 38 points d’eau et d’un matériel minimal de lutte contre l’incendie. De même, un rideau de fer aurait dû s’abaisser sur la scène dès les premières flammes. Mais il demeure obstinément levé. Ce dispositif a été rendu obligatoire dès 1873, à la suite de l’incendie de l’Opéra Le Pelletier. Plus grave encore, les pompiers chargés de la sécurité incendie du bâtiment sont invisibles. Enfin, pour ne rien arranger, les issues de secours demeurent closes et les escaliers de dégagement sont très mal signalés. Toutes les conditions sont donc réunies pour aboutir à une catastrophe majeure… Un groupe s’engage en hurlant dans une voie sans issue, la buvette de la seconde galerie. Aucun n’en sortira vivant. Lorsque le feu sera enfin maîtrisé, les secouristes vont y découvrir 24 corps entièrement calcinés.

Les Sapeurs-pompiers de Paris arrivent rapidement sur les lieux. Du moins, aussi vite qu’ils le peuvent, compte-tenu des moyens de l’époque. Presque toutes les casernes de la capitale sont alors mobilisées et des centaines de pompiers seront bientôt à l’œuvre. En professionnels, ils sont stratégiquement déployés autour du sinistre. Ils vont utiliser, pour la première fois, les grandes échelles dont la longueur atteint 24 mètres. Elles montreront leur efficacité, puisqu’un grand nombre de personnes, dont les costumières, qui ont trouvé refuge sur l’entablement du sixième étage et le toit de l’édifice. Elles vont être ainsi sauvées…

Les artistes, malgré l’angoisse qui les animent, vont faire preuve d’un courage exemplaire. Du reste le ténor du moment, Taskin, parviendra à sauver un grand nombre de personnes. Il sera aussi le dernier artiste à quitter les lieux, alors qu’il présente déjà de nombreuses brûlures aux mains et au visage. Un autre ténor, M. Talazac, en proie à un sombre pressentiment, avait acheté – quelques jours avant le drame – une longue corde lui permettant de s’échapper par la fenêtre de sa loge. Précaution qui va se révéler utile, puisque Soulacroix devra la vie à cette issue improvisée ! Vers 22 heures l’incendie fait rage. La toiture et le chapeau de la salle s’écroulent. Les flammes montent alors très haut. Dans Paris, elles sont visibles de loin. Bien entendu, un tel événement attire du monde. Près de 20 000 curieux entourent les lieux. Ils gênent en cela l’action des pompiers. Il sera nécessaire de faire intervenir la Garde républicaine pour maintenir à distance tous ces badauds. Le 26 mai au matin, l’incendie et enfin maîtrisé. Les parisiens découvrent un spectacle de désolation. De l’Opéra-Comique il ne reste absolument rien, sinon une structure noircie et des décombres fumants.

Un très lourd bilan…

Dans ces ruines, les sauveteurs vont découvrir plus de 110 cadavres carbonisés, dont 16 membres du personnel : ouvreuses, choristes, danseuses, etc. Plus de 200 blessés seront évacués durant l’opération de sauvetage. Certains, sérieusement brûlés, vont décéder au cours des heures suivantes. Les corps des victimes seront transportés dans des morgues improvisées de la capitale : hôtel Drouot, Bibliothèque nationale, cliniques privées et hôpitaux. Les familles tentent alors de reconnaître un proche parmi tous ces corps noircis, alignés à même le sol sur plusieurs rangées. Vingt-deux corps, affreusement consumés, ne pourront être identifiés.

À l’heure des responsabilités

Tout le monde s’interroge. Comment un tel drame a-t-il pu se produire ? Visiblement les précédents incendies dans des lieux recevant du public n’ont pas pour autant été pris en compte au plan de la sécurité. Pourquoi le poste de pompiers de cet établissement a-t-il tant tardé à intervenir ? Autant de questions que la presse nationale se fait un devoir de soumettre à la conscience collective. Le gouvernement est globalement jugé responsable du dysfonctionnement des mesures de sécurité. Le publique estime alors que le fait de pondre des textes réglementaires ne suffit pas. Encore faut-il les faire appliquer ! Des crédits destinés à venir en aide aux familles sont immédiatement votés par le Parlement. Le gouvernement va également prendre en charge les funérailles nationales des vingt-deux victimes non identifiées et dont les corps n’ont pas été réclamés. Après une cérémonie à Notre-Dame, le 30 mai 1887, ces victimes inconnues seront inhumées au cimetière du Père Lachaise. Un monument commémoratif sera ensuite élevé en ce lieu, au sein de la 96e division. La sécurité des salles recevant du public était pourtant à l’ordre du jour. Quelques semaines avant le drame, lors d’une représentation à l’Opéra-Comique, une herse de protection se détache durant l’entracte, blessant alors quelques personnes.

Le 12 mai 1887, au cours d’une séance assez houleuse, comme l’Assemblée nationale en connaît parfois, M. Steenakers, député de la Haute-Marne, va interpeller publiquement le ministre de l’instruction publique et des beaux-arts, M. Berthelot. Ce député dénonce alors la vétusté des locaux de l’Opéra-Comique et son extrême exiguïté. Il met en avant les dangers potentiels, tant pour les spectateurs que pour le personnel de cet établissement. Il fait également état de très nombreux rapports rédigés en ce sens, lesquels sont restés sans suite … La réponse du ministre est alors surprenante. Il déclare le plus sérieusement du monde :

« Nous pouvons considérer comme probable que l’Opéra-Comique brûlera. C’est un fait statistique ! »

Cette phrase, quelque peu prémonitoire et nonchalante, va entraîner la démission du ministre ! Il est vrai que les théâtres sont alors très exposés à ce type de sinistre. Et pas seulement en France. De triste mémoire, l’incendie du « Ring Theater » de Vienne (Autriche), en 1881, avait engendré la mort de 470 personnes et presqu’autant de blessés graves…

Les soldats du feu

Les Sapeurs-pompiers de Paris méritent un hommage particulier. Lors de cet incendie, provoqué par un bec de gaz ayant mis le feu aux frises du décor, le foyer va très rapidement acquérir une intensité que rien ne pourra arrêter. En quelques minutes la salle ne sera plus qu’un immense brasier dégageant, de surcroît, des fumées très toxiques. L’enquête va prouver que ce terrible accident aurait pu être facilement évité en employant de la lumière électrique, en lieu et place des becs de gaz, et en utilisant des décors incombustibles. Après cette catastrophe l’opinion publique, relayée par la presse, va mettre en cause la lenteur des pompiers lors de leur intervention. Il nous a donc semblé utile de rétablir la vérité, car ces mêmes pompiers ont eu une attitude absolument héroïque au cours de cette action. Il faut pour cela se replacer dans le contexte de l’époque. Les seules casernes de pompiers qui possèdent de grandes pompes à vapeur et surtout les plus proches de l’Opéra-Comique, sont au nombre de trois. Ce sont celles de la rue Blanche (9e), de la rue Jean-Jacques Rousseau (1er) et celle de la place du Château d’Eau (10e). Dès que l’alarme va être donnée, les chevaux sont attelés aux pompes et les véhicules hippomobiles partent au grand galop. Or, cette opération d’attelage nécessite environ deux minutes. Il faut ensuite le temps nécessaire au trajet, car les chevaux se déplacent bien moins vite que nos actuels véhicules motorisés ! Ils ont également quelques difficultés à se faufiler dans les rues étroites et encombrées. Une fois sur place, il faut encore installer les tuyaux, les échelles, et mettre les pompes en marche. Entre-temps, il est évident que l’incendie a progressé ! Mais comment faire autrement ? Les premiers pompiers arrivés sur les lieux, ceux des casernes les plus proches, ont donné la priorité au secours des personnes, avant d’attaquer le feu. Ce qui semble assez logique. Les opérations de sauvetage ont donné lieu à des scènes héroïques, comme le sauvetage de deux malheureuses victimes réfugiées au niveau de la toiture. Malgré une échelle trop courte, les longues n’étant pas encore arrivées sur les lieux, les pompiers, au mépris des flammes qui les entourent, parviendront à sauver ces deux femmes. Ils seront, du reste, acclamés par la foule… Les exemples de ce type furent nombreux en cette soirée du 25 mai 1887. Autre problème technique rencontré à cette époque : les points d’eau. Pour faire fonctionner les pompes, il faut de l’eau, aurait pu dire en son temps Monsieur de la Palisse. Or, à cette même époque les bouches d’incendie étaient trop peu nombreuses. Lorsque le point d’eau se trouvait éloigné du lieu de l’incendie, il était parfois nécessaire – faute de tuyaux de très grande longueur – de déplacer les attelages (chevaux et motopompe) pour refaire le plein des cuves.

Pour ne rien arranger, le débit en eau de ces mêmes bouches d’incendie étaient très variables d’un quartier à l’autre. Enfin, en période hivernale il n’était pas rare de se trouver face à bouche dans les canalisations d’eau étaient inutilisables en raison du gel ! Aussi, convient-il de le dire haut et fort, les Sapeurs-pompiers de Paris ont fait preuve, lors de cette catastrophe, d’un professionnalisme et d’un courage exemplaire.

Ils ont ainsi fait honneur à la devise inscrite sur leur drapeau : « Sauver ou Périr. »

Un procès retentissant

Les responsables de l’Opéra-Comique vont avoir des comptes à rendre la justice. Ce procès vise principalement M.M. Léon Carvalho, directeur de l’établissement, d’Archambault, architecte des Beaux-Arts, ainsi que les membres du personnel en charge de la sécurité. Ce procès, compliqué par le côté technique de l’affaire, va se clore sur des condamnations.

Les inculpés seront toutefois acquittés en mars 1888, lors d’un second procès en appel. M. Carvalho Peut ainsi reprendre la direction de l’Opéra-Comique, trois ans plus tard, dans des locaux neufs ! Contrairement à toute attente, ce drame épouvantable ne va pas susciter de nouvelles dispositions réglementaires. Toutefois l’éclairage électrique va devenir obligatoire dans tous les théâtres et café-concert.

Le mauvais œil ?

L’ombre d’une malédiction devait planer sur l’Opéra-Comique, comme le démontre cette synthèse !

  • Le 13 janvier 1838, lors d’une répétition de Don Giovanni de Mozart, l’Opéra-Comique est entièrement détruit par un violent incendie. Il a pour cause un système de chauffage défectueux ayant mis le feu au magasin contenant les décors. Bilan heureux : importants dégâts matériels, mais seulement quelques blessés.
  • Le 25 mai 1887, le dramatique incendie que nous venons d’évoquer. Bilan : 116 morts et plus de 200 blessés.
  • En 1923, l’Opéra-Comique flambe à nouveau. Bilan : 103 victimes.

Comme nous le verrons, dix années plus tard, en mai 1897, une manifestation, nommée Bazar de la Charité, se déroulera dans le quartier des Champs-Élysées. Un incendie va alors se déclarer dans un local abritant les appareils de projection. Les flammes se propageront en quelques minutes à l’ensemble des locaux. Le bilan humain sera, une fois encore, très lourd ! En cause : les éternelles mesures de sécurité !

Texte :  Michel Malherbe, extrait d’un ouvrage en cours : « Les Grandes Catastrophes » – Iconographie collection personnelle de l’auteur – DROITS RÉSERVÉS

Par Michel Malherbe
Écrivain-Historien
Sociétaire des Gens de Lettres

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Michel Malherbe

Aujourd’hui retraité, cet écrivain, sociétaire des gens de lettres de France, consacre une grande partie de son temps à la recherche historique, notamment celle des « serial killer » de la Belle-Epoque, mais aussi à des investigations portant sur des affaires criminelles plus contemporaines. A ce titre, il collabore à de nombreuses émissions télévisées et productions cinématographiques.

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