
Le Mystère du vitrail [Part 6/16]
Chapitre 5
Chaque vitrail de la galerie est lié à une des scènes décrites dans plusieurs vitraux de la cathédrale. Ce que Sing-sing doit comprendre, est que le charme ne concerne qu’une unique scène de chaque vitrail. Ils viennent de visiter celle qui met en valeur les tailleurs de pierre, ils ne pouvaient donc pas en déborder. Voilà pourquoi Sing-sing s’est confrontée à la barrière d’énergie et qu’elle s’est fait rejetée d’où elle venait.
Charabias insiste aussi sur la durée limitée de telles visites, raison d’être du sablier. Celui-ci rappelle que le temps qui est imparti s’écoule inexorablement. Il lui confirme que dépasser le temps alloué, signifie s’exposer à un emprisonnement définitif dans la scène représentée dans le vitrail.
– Je vois, soupire-t-elle désabusée. Alors, pourquoi ne pas se rendre directement chez les artisans du vitrail. Il suffit de choisir le bon vitrail de cette galerie. Sûrement un de ceux du fond.
– Non point, ricane le mage. Ce serait trop simple. Ce sortilège a sa propre chronologie.
– Comment cela ! s’insurge Sing-sing. Vous devez le changer.
– Impossible ! Je l’ai créé, mais n’en ai plus la maitrise, avoue le mage. Il a sa vie propre, n’en fait qu’à sa guise. Ce sortilège est des plus facétieux, il lui arrive même d’être imprévisible.
Sing-sing sent une grande lassitude la gagner. Elle espérait tant aller directement à la recherche d’un passage de retour. Sauf qu’il n’en est rien, de plus Charabias enfonce le clou, appuie là où ça fait mal. Le sortilège mène la danse et le sentier qui mène à la création du vitrail, passe obligatoirement par toutes les étapes de construction de la cathédrale.
Mais pourquoi faire confiance en ce vieux décati ? Peut-être parce qu’il n’est plus si vieux que ça. Un indéfinissable sentiment qu’un changement s’opère chez le mage, ne la quitte plus depuis leur retour dans la galerie. Et ce n’est pas l’image du grand-père, ni le ton paternaliste qu’il emploie trop souvent à son goût, qui en est la cause. C’est autre chose. C’est vrai qu’il l’horripile, à la considérer comme une chose fragile. Cette condescendance nonchalante pour sa féminité est insupportable, pourtant, elle se surprend à apprécier qu’il lui donne de la joliette, ou encore de la damoiselle.
– Ah, s’il n’était pas si vieux ! se fait-elle remarquer dans son for intérieur. Secoue-toi, cesse de jouer les adolescentes au cœur tendre. T’as passé l’âge.
Sing-sing revient à la réalité et à ce qui doit suivre. Après les tailleurs de pierre, le gros œuvre n’est pas terminé, il leur faut aller voir les charpentiers.
Le vitrail des charpentier vient de s’illuminer, le sablier a changé de place, il est positionné juste au-dessus. Pas le temps de s’acagnarder, comme ils disent en ce temps, paresser n’est pas une option, le compte à rebours est lancé. Charabias prend la main de Sing-sing et l’entraine vers de nouvelles rencontres.
Elle manque de basculer dans le vide, le vitrail vient de les déposer sur un chemin de ronde encore en travaux. Le parapet pour ne pas basculer n’est pas terminé. Ils n’ont que le temps de se réfugier près d’une énorme poutre, pour éviter le passage d’un charpentier quelque peu pressé.
– Hé vous le charpentier ! s’écrie Charabias. Vous avez failli nous faire tomber. Arrêtez, il faut que je vous parle.
– Pas le temps, pas le temps, rétorque l’intéressé, en continuant de se balader sans appréhension sur la mince corniche. J’ai à faire, quant à vous votre place est en bas, dans un champ de pâquerettes.
Le ton et les paroles sarcastiques de ce jeune godelureau, ne sont pas du goût du mage ; qui pousse un juron bien senti.
– Pourquoi ne pas le suivre, suggère Sing-sing, l’intérieur de la charpente semble plus propice à se poser.
En effet, pour faciliter le travail de la charpente, sur les poutres de sa base, de nombreuses planches permettent de s’y déplacer avec moindre risque.
Dans la réalité, la basilique qui a précédé la construction du nouvel édifice, a été la proie des flammes. En grande partie en bois, il n’est resté principalement que la crypte. La volonté de conserver celle-ci à cause d’une sainte relique, force les bâtisseurs de la cathédrale à créer un écartement inédit pour la structure. Tout cela est étroitement lié aux deux couloirs de l’ancien édifice, qui en imposent la disposition des points d’appui.
Il est facile de dire que l’église romane d’antan a fait long feu et que l’architecture gothique et son principe de voutes de pierres a pris ses lettres de noblesses céans. Les tailleurs de pierre se sont donnés corps et âmes et le plafond vouté de la cathédrale a pris forme et fait et cause de la grande dame de Chartres. Les architectes voient grands et pour laisser un espace intérieur grandiose, ils stabilisent les voutes avec des arcs boutants en pierre, placés sur les côtés de l’édifice.
C’est au-dessus de toutes ces voutes, que s’étend la forêt, l’étonnante charpente, assemblée et soutenue par les murs massifs de la cathédrale.
Charabias et Sing-sing, viennent tout juste de rattraper Clovis, le jeune charpentier. Celui-ci accepte de leur présenter la magnifique toiture. Le bois c’est toute sa vie, il le caresse, comme il le ferait avec la peau de sa belle. Clovis ne tarit pas d’éloges sur sa texture, sur les essences qui sont nécessaires à sa construction.
– Le bruit coure, que la charpente a dévoré toute une forêt pour être construite, déclare fièrement Clovis. C’est incroyable.
De la main, il désigne tout l’enchevêtrement de poutres, de solives, qui est encore à ciel ouvert. Certaines sont d’une taille impressionnante. Il leur explique, que ce qui ressemble à un imbroglio de bois, est en réalité une œuvre d’art. Rien n’est fait au hasard, tout est calculé, la taille des poutres, leur assise sur les murs gouttereaux pour évacuer les eaux de pluie, la répartition de la charge.
– Prenez le temps de respirer, le sermonne le mage. Laissez-nous le temps de comprendre.
– J’ai tendance à débiter des paroles, aussi vite que je le fais avec le tronc d’un arbre, s’excuse Clovis.
Il voit bien que Sing-sing boit ses paroles, qu’elle ne tente pas de tarir le débit de son histoire. Alors, Clovis reprend de plus belle. Tout y passe, le soutien des poutres d’assise par la pose des semelles et des jambes de force fichées en diagonale depuis les murs. Puis il continue le montage de la structure vers le haut. Les entraits, les poteaux, les suspentes. Sans oublier les contrefiches sur les côtés, puis viennent les chevrons, qui vont soutenir les liteaux pour poser la couverture.
– Vous faites tout cela à la main ? s’étonne-t-elle, pour l’encourager à continuer.
Malgré le regard désapprobateur du mage, elle tient à profiter d’être aux premières loges pour tout savoir.
– Nous avons des outils, répond Clovis. Nous taillons beaucoup à la hache. Nous avons toutes sortes de tranchoirs de ce type, pour écorcer, faire prendre forme au bois que nous utilisons. Nous avons aussi des ciseaux à bois pour les encoches, pour faciliter l’assemblage de la toiture, mais aussi des mèches à bois pour percer, puis glisser des chevilles de bois pour maintenir le tout en place.
Joignant le geste à la parole, Clovis leur désigne du doigt la charpente autour d’eux.
– À ce que je vois, pas de coffrage en ces lieux, pas d’échafaudage non plus, fait remarquer Charabias.
– Je ne veux pas bailler à mal, rétorque Clovis. Mais ça c’est bon pour les charpentiers de la pierre, ceux qui jouent les maçons.
Sing-sing les regarde tour à tour, la réponse au bord de l’invective de Clovis, démontre que dans ces métiers aussi, il y a le noble art et le travail de bas étage. Alors qu’en est-il de ceux qui sculptent sur bois ?
Saluant alors le charpentier, une inclinaison du haut du corps pour Sing-sing et un geste de la main pour Charabias, tous deux se dirigent vers la nef. Là où les couvreurs commencent à habiller la toiture.
– C’est perte de temps, que de vouloir causer à ces fondus, raille Clovis, en hoquetant de plaisir à sa niaiserie. À ce qui se dit, ils n’ont pas même du plomb dans la tête. Pour preuve, ces fol dingos le mettent sur les toits.
– Vous voulez dire, que la couverture est en plomb, pas en ardoise, s’étonne Sing-sing, intriguée par la nouvelle. Mais cela doit peser des tonnes.
– Si fait, confirme Clovis. Faudrait voir quand il y aura canicule, il va peut-être fondre et couler par les gargouilles. Moi ce que j’en dis. Le bon jour vous va, je m’en retourne, la pitance n’attend pas.
Surpris par son attitude, Charabias et Sing-sing restent un temps pantois ; ne sachant trop que faire.
– À la vitesse où la couverture avance, nous allons nous retrouver dans le noir, affirme le mage. Mieux vaut retourner sur nos pas, si nous voulons retrouver la sortie.
Elle voit bien qu’il a raison, il n’y a que des poutres et des solives autour d’eux. Rien qui ne ressemble plus à une inextricable foret de bois. La damoiselle n’a guère envie de s’y retrouver piégée à jamais.
Retrouver la sortie et l’endroit précaire de leur arrivée, n’est pas si simple qu’elle l’espère. Clovis s’est éclipsé, il serait bien utile pour les guider. Finalement, ils atteignent leur destination. Le manque de garde-fou rend toujours aussi précaire, leur attente de l’apparition du vitrail ensorcelé. Mais ils font contre mauvaise fortune bon cœur.
Charabias recommence son petit manège avec ses mains, marmonne la formule. Le vitrail se matérialise, le sablier est toujours au-dessus, il est loin d’être vide. Ce qui donne une idée à la damoiselle.
– Pensez-vous que nous aurons plus de temps dans le prochain épisode des bâtisseurs ? demande-t-elle. Nous n’avons pas tout utilisé dans celui-ci.
– Que nenni, soupire-t-il. Cela ne fonctionne pas comme cela, le sortilège se moque du temps inutilisé. Retournons de l’autre côté, à parler de pitance et de gargouilles, ce Clovis m’a donné grande faim.
Sa protégée approuve d’un signe de tête et le suit à travers le vitrail magique.
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