Le Mystère du vitrail [Part 8/16] 

Chapitre 7

Le constat est d’importance, elle ignore à quoi cela tient, ni ce qui en est la cause. Mais la chose est certaine, à chaque passage à travers un vitrail ensorcelé, Charabias rajeunit. Disparue la peau parcheminée, la plupart de ses rides sont un lointain souvenir. Que dire de ses cheveux filasse, un poil cassants. Certes, ils sont toujours aussi longs, mais ils semblent plus soyeux. Une fois bien savonnés et rincés à grande eau, ils seront impeccables. Ne restera plus qu’à donner un bon coup de brosse à ces cheveux pour en ôter tous les nœuds, ainsi qu’une bonne coupe, pour rafraîchir tout cela.

– Charabias, l’interroge Sing-sing. Comment faites-vous pour rajeunir si vite ?

– Mais je n’ai pas changé jeune damoiselle, s’insurge le mage incrédule. La cervoise vous monte à la tête.

– Que nenni, réplique-t-elle, en usant du vieux François, pour affirmer qu’elle n’est certainement pas touchée par l’ivresse. Je n’ai pas de miroir pour vous le montrer, mais regardez donc vos mains, vous en aurez la preuve. Ne ressentez-vous pas la différence ?

Toujours persuadé qu’elle affabule, Charabias regarde ses mains, les tournent pour voir l’envers et l’endroit. C’est vrai, qu’elles ne sont plus décharnées, plus aucune ride. Ses tremblotes, ont-elles aussi pris la poudre d’escampette.

– Je le vois bien, continue-t-elle. Vous vous tenez beaucoup plus droit. Je suis persuadée que vous n’avez plus de courbatures, que vos muscles ne sont plus endoloris.

– De quoi ai-je l’air ? s’enquiert le mage, avec une pointe de fatuité.

La chose mérite bien une légère pointe d’orgueil, même s’il ne sait par quel miracle cela s’est produit. Non ! Ce doit plutôt être un sortilège qui est à l’œuvre. Sortilège dont il ignore tout. Tout cela l’intrigue, le dérange. Il exècre au plus haut point se retrouver dans l’ignorance. Qui ou quelles forces mystiques jouent avec ses nerfs ?

– Pour répondre à votre question, dit Sing-sing, en le toisant d’un regard calculateur. Je dirai, la petite cinquantaine mal coiffée et bien mal fagotée.

Elle est ravie de pouvoir se moquer à son tour. Elle éclate de rire, pour bien lui montrer combien ça l’amuse ; de le voir si emprunté. C’est de bonne guerre, de toute façon il l’a bien mérité. Depuis son arrivée dans l’Entre-deux-mondes, il ne cesse de la chambrer, de lui donner de la donzelle, de la joliette à n’en plus finir. Elle en a soupé de son ton paternaliste. À son tour de lui faire toucher le ridicule du doigt.

L’aubergiste et son commis, viennent de débarrasser la table. Sur ordre de Norbert, le commis a laissé les verres et ramené un pichet de cervoise bien fraiche. Norbert n’a pas tout compris de ce qui se passe. Mais l’attitude de Charabias, lui fait craindre le pire. Alors pas question de l’enivrer plus que nécessaire.

– C’est ma foi vrai, je me sens tout chose, soupire Charabias, obligé d’accepter l’impression que cela lui donne. Mais n’allez pas croire belle effrontée, que je ne suis plus ce que je suis. Je reste le mage le plus puissant de cet univers.

Elle pouffe alors à la rodomontade du mage. Charabias peut toujours tenter de paraître, elle l’a surpris, pris en défaut. Cette petite victoire à un petit goût acidulé des plus agréable. Aussi veut-elle pousser son avantage.

– Je dirai que vous êtes joliet, bien que vous avez passé l’âge. La mise arrangée, décrassé et pomponné, vous avez des chances de plaire.

Sing-sing se délecte des petites piques qu’elle lui envoie. Pourtant, elle ne se rend pas vraiment compte, que cela conforte son attirance pour le mage. Alors elle pouffe allègrement, une main plaquée sur sa bouche. Ses cheveux en bataille tombent devant son visage, l’idée que cette attirance soit partagée, fait qu’elle s’étrangle. Elle tousse pour masquer le far qui enflamme ses joues. Dans sa tête, cela se bouscule, les questions qui dérangent prennent forme.

– Se peut-il que cela soit partagé ? L’idée fait son chemin. Y-a-t-il eu des signes ? Lui a-t-elle laissé croire qu’il ne lui ait pas indifférent.

Aucun de ces mots ne franchit ses lèvres. Elle les pince pour réprimer les petits cris de stupeur qu’elle pousse habituellement, quand elle est prise au dépourvu.

Charabias sans un mot, la regarde intensément. Il voit son visage changer de couleur, ses gestes de pudeur, son désarroi masqué par un rire forcé, qu’elle réprime tant bien que mal. Il connait trop peu la gente féminine pour en décoder les expressions. D’ailleurs lui non plus n’en mène pas large, quoiqu’il donne assez bien le change.

• Elle m’a donné du quinquagénaire, ce qui n’est pas très flatteur, se dit-il dans sa tête. À l’évidence, elle ne me voit plus comme un vieux grincheux, mais pas encore comme un parti possible.

Charabias se morfond de ne pas savoir ce qui se passe, de ne pas en avoir la maitrise. S’il savait quelle magie est à l’œuvre, il pourrait peut-être en modifier le processus, l’accélérer. Sing-sing le trouve plaisant bien qu’elle se moque, le ton employé laisse supposer qu’il ne lui ait pas indifférent. Cela mérite d’être approfondi. Mais que faire ?

– Gente damoiselle, attendez-moi céans, dit-il en se levant d’un bond. Je reviens promptement.

Puis s’adressant à l’aubergiste retourné derrière son comptoir, il le hèle et le harangue d’une voix forte. Peu lui importe si les manants encore présents l’entendent, en digérant leur repas et cuvant leur ivresse.

– Norbert je vous la confie. Faites-en sorte qu’elle ne s’éloigne pas, sinon gare. Je serais bien mari d’avoir à vous tenir rigueur de sa disparition. Vous savez que je peux me montrer chafouin et rancunier.

Sur ce il quitte l’auberge, laissant Sing-sing pantoise, aux prises avec des pensées contradictoires.

Chagrine d’attendre sans rien savoir, elle tue le temps en sirotant sa cervoise. Voulant conserver sa dignité, elle ne boit que de petites rasades espacées, pour éviter l’ivresse. Pas question de boire plus que de raison, parce que Charabias l’a plantée-là. Mais que c’est long tout de même, elle compte bien le lui faire savoir, quand il va daigner revenir montrer le bout de son nez.

– Nez qu’elle trouve bien fait d’ailleurs, lâche-t-elle à voix haute, en vérifiant soudain que personne ne fait attention à elle.

Furieusement, Sing-sing fronce les sourcils, fait la moue, elle veut analyser ses sentiments. Dans l’Entre-deux-mondes, rien ne va comme cela le devrait. Dans sa réalité, elle le considérerait plutôt comme un parrain, leur différence d’âge est beaucoup trop importante. Dans sa culture cela soulève question, cela génère souvent des tas de quolibets et autres médisances.

– Qu’est-ce qui me prend ? Voilà que je me mets à espérer qu’il continue de rajeunir. Mais jusqu’où ?

Un hoquet, sa bouche s’ouvre dans une mimique de stupeur. Sa main se plaque devant, pour réprimer le cri qui monte de sa gorge. Cette idée la frappe de plein fouet. Charabias peut-il rajeunir jusqu’à disparaitre ?

L’évocation de Charabias à l’état de nouveau-né, prêterait à sourire si elle n’était pas si lourde de sens. Que va-t-elle devenir, si cela se produit.

– Non, non, c’est impossible, tente-t-elle de se convaincre. Ce n’est pas logique. Réfléchis, pose les éléments que tu connais, fais appel à ton esprit de déduction, à ton intuition.

Elle fronce les sourcil, ses lèvres font la moue. Elle se triture les méninges, pour trouver du sens à ce qui lui arrive. Soudain, elle pense au dernier vitrail ensorcelé, celui dans lequel elle se trouve. Elle en visualise l’image, pour retrouver le petit quelque chose qui l’a intrigué. La différence qui l’a frappée et qu’elle a ensuite laissée de côté.

– Le sablier ! s’écrie-t-elle, en se rappelant son absence.

Elle a déduit de celle-ci, qu’il n’y a pas de compte à rebours pour ce vitrail. Dans cette galerie, chaque passage de vitrail, chaque saut dans le temps est limité, sauf pour celui-là. Cela a-t-il une importance ? Elle l’ignore.

– Tu t’égares ! Concentre-toi sur ce que tu sais, se dit-elle à voix haute. Le temps ! Tout est une question de temps.

Sing-sing comprend qu’elle vient de mettre le doigt sur la notion qui influe sur tout ce qui existe autour d’elle. Quelque chose a détraqué la mécanique temporelle de la galerie. Soudain, tout s’éclaire.

– Non ! Ce n’est pas quelque chose, s’exclame-t-elle. C’est quelqu’un ! Et ce quelqu’un c’est moi.

Sing-sing sait. Elle connait la cause et peut enfin analyser d’un œil nouveau les conséquences. Depuis que Charabias vit en ces lieux, le temps s’écoule, disons normalement. Ce qui fait qu’il vieillit et ce le plus naturellement du monde. Son arrivée intempestive a provoqué un dérèglement du temps, du moins dans la magie du vitrail. Auparavant, à chaque fois que Charabias visitait le moyen-âge, rien ne l’affectait. Le temps n’avait aucun effet pervers sur lui.

Maintenant il en est autrement, chaque fois que Charabias l’emmène visiter le moyen-âge à travers un vitrail, son horloge biologique fait un bond en arrière et le ramène dans sa jeunesse.

– Si j’ai raison, se convainc-t-elle. Alors, la dernière visite sera celle de son retour. De son retour à l’âge qu’il avait quand il a testé son sortilège.

Le retour de Charabias dans l’auberge, met fin à ses réflexions. Elle va pouvoir vérifier, si ce qu’elle croit va se produire.

Chapitres précédents :

1. Le Mystère du vitrail Part 1/16
2. Le Mystère du vitrail Part 2/16
3. Le Mystère du vitrail Part 3/16
4. Le Mystère du vitrail Part 4/16
5. Le Mystère du vitrail Part 5/16
6. Le Mystère du vitrail Part 6/16
7. Le Mystère du vitrail Part 7/16