Le Mystère du vitrail [Part 9/16] 

Chapitre 8

Charabias est de retour, il s’est absenté pour faire le tri dans ses idées, dans les sentiments étranges qui l’assaillent. Cette joliette, provoque en lui des sensations oubliées. Est-ce un effet lié à son corps qui change ? Il l’ignore. Dans sa jeunesse, il était trop occupé à étudier pour devenir mage. La gente féminine était laissée de côté. Elle ne pouvait que le distraire et ralentir son apprentissage. D’ailleurs son mentor veillait au grain et ne le laissait pas succomber à la tentation.

Quand il a laissé Sing-sing en plan, il s’est précipité hors de la galerie, direction ses quartiers, son antre comme il l’appelle. Là, il s’est empressé de se placer devant son grand miroir. Miroir qui depuis des lustres et des lustres a la désagréable habitude, de renvoyer de lui une image vieillissante.

– Bon et mauvais sang ! C’est ma foi vrai, s’exclame-t-il. Je fais beaucoup plus jeune.

Ce qui lui semblait une illusion d’optique, s’avère être réel, il est bien obligé de le constater. Maintenant, il faut qu’il en trouve la cause. C’est agréable de rajeunir, de ne plus se sentir vermoulu, de ne plus avoir que la peau sur les os et une peau parcheminée. Il en éprouve de la joie, mais cela pose questions. Pourquoi ? Comment ? Et Quand ?

– Quand, est le plus important, affirme-t-il. Quand cela va-t-il s’arrêter, est la bonne question.

Mais pour espérer répondre à cette dernière, il faut commencer par découvrir la cause et comment cela opère. Hélas, quand il s’est retrouvé happé par le vitrail, tous ses grimoires sont restés de l’autre côté.

C’est le cerveau en ébullition, à se perdre en conjectures, qu’il se décide à retourner auprès de la damoiselle. Sa venue est un signe, il est même possible qu’elle soit une des raisons de son changement. Il faut qu’ils en parlent, qu’ils confrontent leurs idées. Depuis son arrivée, rien ne va plus comme avant.

Dans l’auberge, Charabias se plante devant-elle, lui fait signe de le suivre. Tous deux sont maintenant rassasiés, il est temps de reprendre leur voyage à travers l’histoire de la cathédrale. Un geste d’adieu vers l’aubergiste, il fait demi-tour, aussitôt suivi par Sing-sing qui se lève de son siège avec grâce.

– Où allons-nous ? demande-t-elle, en le rejoignant à la porte de l’auberge.

– Dans le monde du vitrail, répond-il. Nous avons une énigme à résoudre.

– Une énigme ? Quelle énigme, l’interroge Sing-sing, soudain très intéressée par la tournure des chose.

Les voilà tous deux revenus dans la galerie. Passer la porte de l’auberge, les fait retraverser le vitrail dans l’autre sens.

– Venez c’est par là, dit-il, sans répondre à sa question.

Alors qu’il se dirige sans hésiter vers une nouvelle série de vitraux, elle l’attrape par la manche pour le retenir.

– Pas si vite mage ! s’écrie-t-elle courroucée. Pas question que vous y alliez dans cette tenue. Vous faites pitié à voir. Et puis moi, j’en ai assez de passer pour une bohémienne.

Freiné dans son élan, Charabias s’arrête, la regarde sans comprendre. À voir son air courroucé, les poings sur les hanches, la mine volontaire, il s’aperçoit qu’il vaut mieux qu’il obtempère. Elle est ravissante quand elle se met en colère, pourtant il ne se fie pas trop à ses impressions, il a trop peu d’expérience en la matière.

Une visite par le vitrail regroupant les métiers de la confection, les tisserands et les marchands de tissus, s’impose. Ils devraient y trouver aussi des couturières et des vêtements de l’époque.

Dans l’atelier du tisserand, ils y rencontrent Grégoire, artisan tisseur de son métier. Il est assis derrière son métier à tisser, à manier avec grande dextérité sa navette, pour passer le fil de trame et le serrer à l’aide d’un peigne. Inlassablement, il ajoute un fil après l’autre, change de couleur, crée des motifs selon son bon plaisir.

– Le bon jour brave tisserand, le salue Charabias, en entrant dans l’atelier de l’artisan.

– Le bon jour, répond Grégoire, en l’inspectant du regard avant de le gratifier d’un rictus désapprobateur. Si c’est pour réparer vos frepes, allez plutôt voir le tailleur.

– Je pensais vous prendre quelques étoffes, intervient Sing-sing, en faisant un pas de côté.

À leur entrée dans l’atelier, elle est restée cachée derrière le mage, sa haute stature la masquant aux yeux du tisserand.

– C’est qui cette donzelle ! crache Amboise, d’un ton peu amène. Comptez pas me faire pitoyer avec cette pucelle.

Les nouveaux venus jouent de malchance, l’artisan est de mauvaise humeur, il a du retard dans son ouvrage. Il ne se gêne donc pas pour passer celle-ci sur les intrus.

Son aide, qui porte le peigne rentre la tête dans les épaules, il craint les colères du tisserand. Aussi, n’ose-t-il pas lui faire remarquer, que le mage n’est plus si vieux que ça.

– Pas question, que j’aie pitié d’une roturière et d’un vieux mage un peu fou, marmonne le tisserand.

Il est tellement affairé, qu’il lève à peine les yeux sur eux, se fiant à sa première impression et à sa mauvaise foi coutumière

– Ce n’est pas l’amabilité qui l’étouffe, récrimine Sing-sing, en faisant la grimace. Allons voir le tailleur. C’est quoi une frepe ?

– Un chiffon, répond Charabias, en faisant demi-tour. Ce que vous appelez des fripes.

– Quand je dis qu’il faut changer de vêtements, soupire Sing-sing d’un ton revêche. Voilà que l’on me prend pour une souillon et vous pour un mage défroqué.

Quittant l’atelier du tisserand, tous deux se dirigent d’un pas décidé vers celui du tailleur.

Le tailleur est un homme d’âge avancé, mais ses doigts restent très agiles. De plus, il a un sens inné des affaires et il a l’œil pour faire les bons choix de tissus, quitte à aller contre les souhaits d’une cliente. Pire, il refuse catégoriquement de faire affaire, si celle-ci persiste dans son entêtement vestimentaire. Ambroise est donc un tailleur de grand talent, roublard et têtu comme une mule.

– Que me vaut l’honneur de votre visite mage, dit-il d’un ton servile pour les accueillir. Mais vous êtes accompagné ! Qui est cette joliette damoiselle ?

– Voilà enfin un homme qui sait être agréable, fait remarquer Sing-sing d’une voix suave. Ce n’est pas comme d’autres…

Sing-sing laisse sciemment la fin de sa phrase en suspens et darde un regard appuyé vers le mage. La remarque fait mouche, aussi celui-ci se hâte de reporter son attention sur l’artisan, afin de masquer sa gène. Dans son for intérieur, il se dit qu’il vaut mieux faire profil bas. Elle semble chercher prétexte à lui en faire voir.

– Quelle mouche peut bien la piquer, se demande-t-il dans sa tête. Ne suis-je pas aux petits soins avec elle, depuis son apparition dans ma vie.

Il croise l’espace d’un instant le regard désapprobateur du tailleur, mais celui-ci reporte toute son attention sur la damoiselle. Pourtant, le sourire dédaigneux que le tailleur a affiché en voyant sa mise, est des plus explicite. Son affublement est pitoyable.

– Quelle mauvaise foi ! s’exclame-t-il, sans qu’aucun son ne sorte de sa bouche.

Il ne comprend donc vraiment rien aux damoiselles et celle-ci est un mystère pour lui. À moins que…

– Serait-ce possible que je ne vous sois pas indifférent ? fait-il à voix haute.

– Même pas en rêve, rétorque-t-elle en évitant son regard, pour le reporter sur le tailleur.

Elle voit bien qu’il a encore changé, ses tempes grisonnantes ne sont plus qu’un lointain souvenir. Dommage, cela lui donnait un certain charme. Prise à son propre jeu, elle pique un far, se pince légèrement pour reprendre de sa superbe. Charabias est plus subtil qu’il veut bien le faire croire et elle vient de manquer de réserve dans ses propos.

Le tailleur qui prend plaisir à la scène qui se déroule sous ses yeux, vient à son secours.

– Gente damoiselle, j’ai ici un magnifique velours bleu, intervient-il, en sortant un rouleau de derrière lui. Regardez, touchez, cela vous ira à ravir.

– J’avais pensé à du rouge, répond Sing-sing, en tâtant le tissu. Le bleu j’en sors.

L’allusion à la couleur de son tailleur au moment de sa capture par le vitrail, laisse le tailleur interloqué. Il ignore de quoi elle parle. Mais il n’en démord pas, c’est ce velours bleu qu’il lui faut et il ne saurait en être autrement.

– Balivernes ! s’exclame-t-il, en remettant le rouleau à sa place. Céans, nulle question de barguigner. Passez votre chemin, j’ai à faire. Jamais je ne laisse quiconque dévergogner avec mes affublements.

Charabias connait la réputation de l’artisan, chez-lui, pas question de marchander ou d’hésiter. À voir sa tête, c’est cela ou rien et comme il dit, nul ne peut se vanter d’avoir fait honte avec ses créations.

– Tout doux brave tailleur, intervient Charabias. Vos choix et savoir-faire sont légendaires, damoiselle ne voulait pas vous moquer. Je suis certain que vous allez lui faire de belles cotelles et que ce tissu va mettre en valeur son féminage.

– Pour sûr, rétorque le tailleur d’un ton radouci. Si elle daigne se parer de ce velours bleu.

Le mage sait parfaitement qu’il peut lui faire une belle robe et parer sa féminité de tout son art.

Il faut juste que Sing-sing accepte de lui faire confiance, qu’elle trouve son choix judicieux. Et surtout qu’elle le lui fasse savoir. Un regard insistant vers celle-ci, suivit d’un signe du menton significatif en direction de l’artisan, il lui fait comprendre de se conduire décemment si elle souhaite de nouveaux habits.

Le mage n’en oublie pas non plus que si le tavernier s’est montré généreux, la considérant comme une invitée de marque, le tailleur n’est pas connu pour sa générosité. Si dans le monde du vitrail, jamais lui ne paye quoi que ce soit, pour parer sa protégée de nouveaux atours, il va devoir trouver quelques pièces d’argent ou d’or.

Chapitres précédents :

1. Le Mystère du vitrail Part 1/16
2. Le Mystère du vitrail Part 2/16
3. Le Mystère du vitrail Part 3/16
4. Le Mystère du vitrail Part 4/16
5. Le Mystère du vitrail Part 5/16
6. Le Mystère du vitrail Part 6/16
7. Le Mystère du vitrail Part 7/16
8. Le Mystère du vitrail Part 8/16