
Le Mystère du vitrail [Part 13/16]
Chapitre 12
Sous les clameurs de joie des habitants de la cité, l’annonce faite par le héraut du tournoi, a provoqué un regain d’attention. Le vainqueur sera celui ou celle, qui mettra le plus de flèches au centre de la cible. Pour corser l’épreuve, les cibles seront éloignées de cinquante pas après chaque série de tirs. Une récompense en pièces d’argent et d’or sera remise au vainqueur.
Au centre un jeune garçon attend la retardataire, un arc long à la main. Quand Sing-sing le rejoint, elle le lui prend et le soupèse. C’est un grand arc fait dans une branche d’if de la taille d’un archer, aux deux extrémités il y a de la corne, afin de passer la corde faite de chanvre.
– C’est un bon arc, dit-elle au jeune garçon. Il est bien équilibré. Ton choix est bon et je t’en remercie.
– Les flèches aussi sont de bonne facture, lui répond le garçon. Je les ai toutes choisies personnellement.
– Merci, tu peux aller, lui dit-elle. Va rejoindre le mage et fait une prière pour que je gagne.
– J’y vais de ce pas, dit-il, en chuchotant à son oreille. Méfiez-vous des deux archers les plus proches, ce sont les plus habiles.
Sur ces derniers mots, le jeune garçon se hâte de quitter le pas de tir. Les regards appuyés des autres archers ne sont pas très amènent à son encontre.
– Mes sieurs à vous l’honneur, déclare Sing-sing. Montrez-moi ce que vous savez faire.
L’ironie du ton employé n’échappe pas à ses adversaires directs. Piqués au vif et pris de court, ils n’osent pas se défiler.
Les mots honneur aux dames restent coincés dans leur gorge. Elle a été plus prompte qu’eux. Si sa langue est aussi vive que son adresse à l’archerie, il vont devoir se méfier.
En réalité, le but de cette manœuvre n’est pas dénué de ruse. Elle désire apprécier leur style. Elle est habituée aux arcs de compétition des temps modernes, ceux-ci bénéficient des perfectionnements de la technologie et permettent des réglages. Ici rien de tout cela, il faut qu’elle juge et vite de la manière dont ils se servent de cet arc long. Elle se souvient avoir fait des essais pour un tournage de film historique sur l’époque du Joseon, mais c’est loin et le bois utilisé est différent.
Sing-sing surveille du coin de l’œil son adversaire de gauche. Les deux archers aux extrémités ont déjà encoché une flèche et tiré celle-ci. Le garçon lui a dit qu’ils n’étaient pas des concurrents dangereux, donc pas la peine de s’imprégner de leur style.
Son adversaire de gauche saisit une des flèches enfichées dans le sol. Il l’encoche.
– Tiens ! Tiens, il bande son arc en tenant la flèche entre ses doigts, se dit-elle dans sa tête. C’est un style qui demande beaucoup de force dans ceux-ci et pas seulement dans les bras. C’est bon à savoir.
Sing-sing regarde son adversaire bander ses muscles, approcher la corde et l’empennage de la flèche près de sa joue. Elle tente de jauger la puissance qu’il met dans son mouvement. Maintenant elle s’intéresse à la suite, à l’angle donné à l’arc, pour que la flèche atteigne la cible. Les doigts de l’archer se desserrent, la corde se détend et la flèche vole dans un arc de cercle adapté à la distance de la cible. Contrairement aux deux précédents tireurs, la flèche se fiche au centre. Sing-sing fait un rapide calcul dans sa tête et s’empresse de se focaliser sur l’archer de droite.
Celui-ci ne s’occupe pas des autres tireurs, il est vif et précis. Bien que son style soit le même que tous les autres, il est rapide, très rapide. Il ne tergiverse pas avant de tirer. Sing-sing le soupçonne d’être le meilleur archer du seigneur de la cité. C’est lui l’adversaire à battre, lui qu’il faut craindre pour espérer la victoire.
Comme pour celui de gauche, la flèche se fiche en plein centre de la cible. Maintenant tous se tournent vers elle et Sing-sing sent leur regard moqueur peser sur elle. Pas question pour elle de se défiler, de leur laisser cette joie. Ils ont l’avantage d’un entrainement régulier, mais pour l’instant elle n’a qu’une chose à faire, mettre ses dix flèches dans la cible. Seule condition pour passer à l’étape suivante, peu importe qu’elles ne soient pas toutes au milieu.
À son tour elle prend une flèche, l’encoche, mais contrairement aux autres archers, elle ne pince pas la flèche pour bander son arc. Elle place trois de ses doigts, phalanges recourbées autour, un doigt au-dessus et deux en dessous. Alors elle tire sur la corde, son arc ploie sous l’effort, puis elle donne un peu d’angle à celui-ci ; et enfin détend ses doigts. La corde relâchée, laisse filer la flèche vers la cible. Touchée ! La cible est atteinte, maintenant elle va pouvoir faire de même avec les autres flèches. Tout en corrigeant le tir, angle et aussi force de traction donnée à son geste, pour viser au plus juste.
Les dix flèches des cinq archers ont atteint leur cible. Celles-ci sont alors reculées de cinquante pas et les tirs recommencent. Même résultat. Une nouvelle fois les cibles sont reculées. Elles sont à cent cinquante pas, les archers aux deux extrémités ratent tour à tour la cible. Le premier au bout de six flèches, quant au second, c’est la dernière qui rate la cible de quelques pouces. Les voilà tous deux éliminés. En ce qui concerne les archers qui entourent Sing-sing, ils sont toujours aussi précis. Pour elle, contrairement aux attentes de ses adversaires, elle maitrise maintenant pleinement son arme, ses tirs sont de plus en plus précis et se rapprochent tous du centre de la cible.
– Vous nous impressionnez gente damoiselle, déclare d’une voix forte le seigneur debout pour saluer la performance.
– Merci seigneur, je m’améliore à chaque nouveau tir, fait Sing-sing en s’inclinant à la mode asiatique.
– Si fait, mais il ne peut n’y avoir qu’un seul vainqueur, rétorque le noble seigneur, fier de sa répartie.
Bien que quelque peu intrigué de ce qui semble être une sorte de révérence, il ne s’en offusque pas. Il ne tient pas non plus compte des réflexions de ses proches, sur ce qui pour eux est un manque de respect flagrant.
– Faudra que vous me parliez de votre pays, reprend le seigneur. Les traits de votre visage me laisse à penser que vous venez de très loin.
– Oui de très loin, répond Sing-sing qui s’est avancée vers la tribune, afin d’éviter de crier pour se faire entendre. Je viens du pays du matin calme.
– Comme c’est plaisant comme description, dit celui-ci, tout en appréciant le mystère que cela sous-entend.
– Mon cher époux, intervient la Gente dame à ses côtés. Il semble que les cibles ont été reculées de cinquante nouveaux pas. Vos archers sont prêts à en découdre.
– Si fait, si fait, déclare le seigneur en désignant le pas de tir à la jeune archère. Je crois que vous êtes attendue.
Inclinant à nouveau le haut de son corps, Sing-sing s’empresse alors d’y retourner. Entre temps le jeune garçon a rapporté une autre dizaine de flèches et les a plantées dans le sol à sa place. Alors qu’elle est en chemin, Charabias l’intercepte, puis lui prend les deux mains dans les siennes. Lèvres à peine écartées il marmonne des mots étranges, dont le sens est semblable à ceci. Sing-sing que ma force soit tienne.
Elle plonge son regard dans le sien et lui sourit. Quand il libère ses mains, elle sent ses muscles se revigorer, comme si elle n’avait fait aucun effort jusqu’à ce bref instant.
Sur le pas de tir, le regard des deux archers se fait inquisiteur, mais il ne savent que penser. À part que ces deux-là semblent très proches. C’est une première, jamais depuis qu’ils le connaissent, le mage n’a eu d’intérêt pour la gente féminine. Ils étaient persuadés qu’il avait fait vœu de célibat, comme le font les prêtres. En haussant les épaules ils échangent un regard convenu. Une entente tacite non verbale les lient dès cet instant, qu’importe lequel d’entre eux gagne le tournoi. Du moment que la donzelle est battue, l’honneur masculin est sauf.
Une première volée de flèches atteint sa cible, puis une seconde, les bras sont lourds, les doigts s’engourdissent. Comme il n’est plus question de reculer les cibles faute de place, la seule échappatoire est de continuer, de miser sur l’endurance et la régularité.
– Alors mes sieurs, toujours bon pied bon œil, ironise Sing-sing.
Le sarcasme fait mouche, l’archer de gauche s’agace. À la trente troisième flèche à deux cents pas, ses doigts engourdis laissent échapper la flèche. Celle-ci se plante lamentablement à trois coudées de la cible.
– Ne croyez-pas que vous allez m’avoir par le verbe, déclare son dernier adversaire, d’un ton imperturbable.
– Il semblerait que nous allons avoir à nous départager, répond Sing-sing sans en avoir l’air.
Ses premières impressions étaient les bonnes, c’est non seulement un archer redoutable, mais en plus il a des nerfs d’acier.
– Si fait, dit l’archer sans se départir de sa mine taciturne. Je n’ai jamais perdu un tournoi.
C’est très clair, il ne lui fera pas de cadeau et il est persuadé dur comme fer qu’il va l’emporter. Voyant leur petit manège de la tribune sans pouvoir ouïr les paroles échangées, le seigneur se lève. D’un geste il intime l’ordre à ceux qui l’entourent de rester assis, puis lentement il quitte la tribune pour rejoindre les deux derniers archers en lice. En chemin il fait signe au mage de le rejoindre.
Chapitres précédents :
- Le Mystère du vitrail Part 1/16
- Le Mystère du vitrail Part 2/16
- Le Mystère du vitrail Part 3/16
- Le Mystère du vitrail Part 4/16
- Le Mystère du vitrail Part 5/16
- Le Mystère du vitrail Part 6/16
- Le Mystère du vitrail Part 7/16
- Le Mystère du vitrail Part 8/16
- Le Mystère du vitrail Part 9/16
- Le Mystère du vitrail Part 10/16
- Le Mystère du vitrail Part 11/16
- Le Mystère du vitrail Part 12/16
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