Le Mystère du vitrail [Part 14/16] 

Chapitre 13

Les deux archers n’ont plus de flèches et tous deux ont encore atteint la cible sans faillir.

– Vous faites honneur à ce tournoi, déclare le seigneur de la cité. Mais il est temps d’en terminer, de vous départager pour la forme et pour notre plus grand plaisir.

Alors que les pages apportent deux nouvelles séries de flèches, il les arrête et proclame de n’en donner qu’une à chaque archer.

– Ce sera votre dernier tir, déclare-t-il. La flèche la plus proche du centre de la cible désignera le vainqueur. Honneur aux dames, vous tirerez tous deux sur sa cible et en même temps.

Les deux adversaires, prennent leur flèche, l’encoche et se placent à un pas l’un de l’autre.

– Je ne fais qu’une avec ma flèche, murmure Sing-sing dans sa tête.

Elle fait rapidement un exercice mental de relaxation, sans se préoccuper de l’autre archer. Son impassibilité risque de la perturber, il faut qu’elle se concentre. Plus aucun bruit ne lui parvient, tout ce qu’il y a autour devient inexistant. Seule la cible et son centre se focalisent dans son champ de vision. Sing-sing respire un bon coup, ses doigts tendent la corde, le bois de son arc se courbe. L’empennage de sa flèche frôle sa joue, elle incline son arc puis libère sa flèche. L’archer du seigneur a fait de même, mais lui n’a pas essayer d’imiter son style. Il est resté sur le pincement de la flèche entre ses doigts, confiant dans sa dextérité et dans des années de pratique.

Tout le monde a retenu son souffle et tenté de distinguer les flèches volant vers la cible. Elles se sont plantées à quelques pouces l’une de l’autre. Ne voulant laisser le soin à d’autres de décider du vainqueur, le seigneur s’avance vers la cible d’un bon pas. Aussitôt suivi de Charabias et des deux archers qui laissent choir leur arc au sol.

Arrivés sur place, le résultat est difficile à déterminer, les deux flèches sont proches du centre mais diamétralement opposées.

– Je reconnais ma défaite, déclare Sing-sing contre toute attente, en s’inclinant face à l’archer du seigneur. Vous faites honneur à votre seigneur et maître.

Charabias est bouche bée, il était prêt à faire appel à la magie pour les départager. Et voilà que sa protégée l’en empêche.

Un long silence fait suite à cette déclaration, le seigneur et son archer se regardent. Puis se tournant vers la tribune, le seigneur clame haut et fort.

– L’archer de notre cité est vainqueur !

Il n’en faut pas plus pour délier les langues, provoquer une clameur de joie dans la tribune, mais aussi parmi tous les manants réunis autour de la place. Charabias veut vérifier par lui-même mais Sing-sing le retient en lui prenant la main. Geste qui n’échappe pas au seigneur et lui provoque un sourire.

– Je salue votre performance Gente damoiselle, dit celui-ci, en faisant un léger signe de tête.

Il veut montrer qu’il apprécie à sa juste valeur son talent, mais pas seulement. Il trouve son attitude digne de noblesse.

– Maître archer, veuillez passer devant avec la Gente damoiselle, déclare-t-il. Vous êtes tous trois mes invités pour festoyer à ma table.

Alors que l’archer et Sing-sing se dirigent vers la tribune, pour rejoindre les membres de la cour du seigneur de la cité, celui-ci prend Charabias en aparté.

– Je sais bien qu’il n’y a pas vraiment de vainqueur, dit-il à voix basse. Prenez ceci sans vous faire remarquer. Cachez-la dans vos habits.

Le seigneur vient de tendre sa bourse personnelle, contenant quelques pièces d’argent et d’or.

– J’ai cru comprendre qu’il vous faut quelques cliquailles pour la ramener dans son pays.

– Merci mon seigneur, dit Charabias, en faisant disparaitre le petit sac dans ses frusques.

Comme le tournoi n’est pas encore terminé, un banquet champêtre est prévu pour se sustenter. Les participants ont eux aussi bien besoin de reprendre des forces. Les convives ont été placés en tenant compte de leur rang et pour certains de leurs prouesses du jour. À gauche du seigneur, Sing-sing avec de l’autre côté Charabias. À sa droite son épouse et ensuite l’archer vainqueur. Au cours du repas, le seigneur se penche vers Sing-sing et lui demande de parler de son pays, de son peuple. Celle-ci s’exécute de bonne grâce, faisant référence à la période médiévale du Joseon, pour ne pas dérouter son hôte. Il ne comprendrait pas les temps modernes et risquerait de la prendre pour une sorcière.

Soudain au détours de paroles anodines, il revient sur ce qui a attiré son attention pendant le tournoi d’archerie.

– Vous savez, je vous ai vu prendre tendrement la main du mage, fait-il avec un ton plutôt égrillard. Je ne suis pas aveugle, vous vous êtes entichée de ce pendard.

– Oh que non ! s’exclame Sing-sing, en plaçant sa main devant sa bouche. Moi avec ce vaurien, vous n’y pensez pas mon seigneur.

Sing-sing est bien trop prompte à nier, cela n’échappe pas à celui-ci. Alors il éclate de rire et se penche un peu plus pour que Charabias le remarque.

– Mage, votre protégée ne me pense pas assez finaud pour voir ce qui crève les yeux, raille-t-il. Il y a des accordailles dans l’air.

– Que nenni, s’offusque Charabias sans grande conviction, pour tenter de le détromper.

– Si fait, reprend le seigneur. Je sais ce que j’ai vu. J’exige que celles-ci soient organisées en mon castel.

– C’est quoi des accordailles ? demande Sing-sing à Charabias, tout en craignant de comprendre la signification de l’allusion.

Charabias lui explique à l’oreille que c’est un contrat, un prélude au mariage. L’idée que le seigneur de la cité veuille les fiancer frappe Sing-sing en pleine poitrine.

– Vous n’y pensez-pas ! s’écrie-t-elle surprise. Il est trop vieux pour moi.

Les mots sont lâchés, il est un peu tard pour les regretter. Elle le voit bien au visage de Charabias qui se fige. C’est de sa faute aussi, comment pourrait-elle avouer qu’il lui plait devant tous ces gens. Elle a beau être une femme libérée, être fantasque et même un peu trop directe ; elle n’en reste pas moins du genre réservée. Surtout quand cela concerne ses sentiments personnels.

– Notre damoiselle des terres du matin calme, s’insurge pour bien peu, ironise le seigneur. N’est-il pas mon cher mage ? Mon épousée était bien plus jeune qu’elle à notre mariage.

Sing-sing blêmit, le seigneur de la cité n’accepte pas ses arguments. Alors Charabias revenu de sa déconvenue, vient à son secours.

 – Mon bon seigneur, ne gâchons pas la fête, déclare-t-il d’une voix posée. Ce jour est consacré au tournoi et elle vient de le perdre. Ne voulons-nous pas attendre quelques jours que l’amertume de la défaite se dissipe ? Je crois avoir omis de vous dire qu’elle est aussi une artiste.

– Comment cela une artiste ? questionne le seigneur, en regardant Sing-sing avec un intérêt renouvelé.

– En son pays elle est ménestrel, explique le mage. En plus elle danse très bien, du moins c’est ce que j’ai cru comprendre.

La Gente damoiselle se mordille les lèvres, puis fait une moue qui se transforme en grimace. Pourquoi a-t-elle racontée au mage que sa mère voulait faire d’elle une saltimbanque. Maintenant la voilà obligée de divertir tout ce petit monde. Sing-sing se lève, fait le tour des tables de banquet, puis se place face au seigneur et ses convives.

Sans leur laisser le temps de réagir, elle fredonne a capella une chanson des temps anciens de son pays. Dans le même temps ses mains et ses bras se meuvent dans des mouvements fluides et hypnotiques. Rien à voir avec les danses locales, ce qui a pour effet d’interloquer un bon nombre de ces dames. Quant aux hommes, ils n’en perdent pas une miette, mais n’osent piper mot de peur de se faire rabrouer. La voix de Sing-sing est claire, cristalline, envoutante. Charabias n’en croit ni ses oreilles et encore moins ses yeux. À croire qu’elle ne chante et ne danse que pour lui. Le seigneur le remarque, il en est certain, il ne s’est pas trompé. Ces deux-là sont attirés l’un vers l’autre. Ils peuvent le nier pour la galerie, mais lui ne s’y trompe pas. Pourtant il s’en désintéresse et attend sagement la fin de ce spectacle étrange.

– J’ose espérer que la vue de ce spectacle a réussi à assouager votre ire mon seigneur, susurre Charabias d’un ton subtil, souhaitant ainsi calmer sa colère.

– Si fait mon bon mage, concède le seigneur. J’ai pris ample plaisir à ouïr sa jolie voix et à la contempler danser. Je vous plains, elle est encore plus dangereuse ainsi qu’avec un arc. Ses charmes sont des flèches qui vous transpercent le cœur.

Sur ces mots le seigneur se lève aussitôt imité par tous les convives. Il leur annonce qu’il est bien repu, tant dans sa chair que par ses sens et qu’il est grand temps que le tournoi reprenne

Les voilà tous retournés à la tribune. Accaparé par les membres de sa cour, le seigneur oublie son projet d’accordailles. Il se replonge dans l’ambiance du tournoi. Charabias et Sing-sing en profitent pour se faire oublier et s’empressent de s’éclipser, direction l’emplacement du vitrail pour retourner dans la galerie.

Juste avant de le franchir, Sing-sing pose la main sur le bras de Charabias. Un bref coup d’œil au sablier, lui apprend qu’ils ont encore un peu de temps devant eux.

– Me pardonnez-vous mes paroles ? lui dit-elle, en le couvrant d’un regard embué de larmes. Je ne voulais pas vous blesser. Ne croyez pas que vous n’êtes pas avenant et encore moins plaisant.

Surpris et même soulagé, Charabias comprend qu’elle utilise des mots détournés pour l’amadouer. Mais à la réflexion, les mots utilisés tentent de masquer ce qu’elle éprouve réellement. Ce qui n’est guère surprenant, vu que son apparence change de plus en plus. Il s’en rend compte lui aussi, même que cela interfère avec ses propres sentiments.

– C’est déjà oublié, répond-il. Je conçois l’embarras causé par les propos du seigneur de la cité. Décréter des épousailles en son castel, selon son bon plaisir n’est pas de bon aloi.

D’un geste doux et empressé, Charabias tend la main vers son visage, pour capturer les quelques larmes qui glissent sur la joue de la jeune femme. C’est un moment où le temps s’arrête, un moment qu’il n’aurait pas osé espérer. Pourtant la Gente damoiselle n’esquisse aucun geste pour l’en empêcher et le sourire qui effleure ses lèvres donne du baume au cœur du mage.

Mais le temps à ses raisons, que les attirances ignorent. Du coin de l’œil Sing-sing entrevoit, que le sablier au-dessus du vitrail leur indique qu’il leur faut se hâter. Elle saisit la main du mage et tant pis s’il se méprend sur son attitude. D’un geste ferme elle l’entraine à travers le vitrail, pour quitter les lieux avant d’y être prisonniers à jamais.


Chapitres précédents :

  1. Le Mystère du vitrail Part 1/16
  2. Le Mystère du vitrail Part 2/16
  3. Le Mystère du vitrail Part 3/16
  4. Le Mystère du vitrail Part 4/16
  5. Le Mystère du vitrail Part 5/16
  6. Le Mystère du vitrail Part 6/16
  7. Le Mystère du vitrail Part 7/16
  8. Le Mystère du vitrail Part 8/16
  9. Le Mystère du vitrail Part 9/16
  10. Le Mystère du vitrail Part 10/16
  11. Le Mystère du vitrail Part 11/16
  12. Le Mystère du vitrail Part 12/16
  13. Le Mystère du vitrail Part 13/16
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Philippe Raspail

Carrière faite de 40 années d'informatique, avec un passage par les webmédias, la création d'un webmagazine pour les Femmes et les Hommes qui entreprennent. Actuellement co-foncateur de la Webradio Arturnews, sans oublier, auteur de romans et nouvelles de Science-Fiction et de Fantaisie, ainsi que quelques contes pour enfants.

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