
Le Mystère du vitrail [Part 15/16]
Chapitre 14
Cléo travaille sur un vitrail, le maître vitrailliste lui a donné la chance de participer à une œuvre d’envergure. Il lui fait confiance, il connait la qualité de son art, il sait qu’elle est prête. Fulbert, artisan vitrailliste reconnu pour ses œuvres, considère même qu’il n’a plus guère à lui apprendre.
Elle participe à la création des vitraux, qui vont être placés dans l’abside de la cathédrale. Charabias remis de sa surprise, guide Sing-sing jusqu’à elle, après avoir préalablement traversé un autre vitrail.
– Le bon jour vous va, Cléo, déclare Charabias, en s’adressant à la jeune femme. Je vous présente damoiselle Song Sing-sing. Elle est attirée par votre art.
– Le bon jour vous va, mage, répond-elle. Vous vous faites rare ces derniers temps. Nous avons presque terminé les vitraux de l’abside.
– Vous m’en voyez fort aise, dit-il. Qui est ce personnage ?
Cléo ravie de pouvoir présenter à des profanes sa réalisation, ne se fait pas prier pour répondre à la question. Elle met en attente la pose de l’élément qu’elle a en main.
– Ce vitrail est financé par les changeurs de monnaie, commence Cléo. Il raconte l’histoire de Saint-Pierre.
– Sa taille est extraordinaire, intervient Sing-sing admirative.
– Si fait, répond la jeune vitrailliste. Il se décompose en trois scènes des saintes écritures. Il faut le lire de haut en bas.
Cléo fait cette remarque à Sing-sing, qui se concentre sur la partie basse du vitrail. Celle sur laquelle elle doit placer les derniers morceaux de verre couleur or, avant de faire de même avec la scène du haut.
– À quoi reconnait-on les personnages ? demande Sing-sing qui cherche à savoir.
– Dans la scène du bas, à droite orné d’une auréole avec une croix, est représenté le fils du seigneur, explique Cléo. À gauche c’est Pierre, il reçoit les clés du paradis. Dans la scène du haut, Pierre, est en habits pontificaux avec les clés. Ce qui semble nous indiquer, qu’il veut guider les fidèles et leur ouvrir les portes du paradis. Mais ce n’est que mon interprétation personnelle.
– Mais je ne vois pas de clés, fait remarquer Charabias, en s’immisçant dans leur conciliabule.
– Si fait, vous m’avez interrompue, alors que je m’apprêtais à les mettre en place, répond Cléo d’un ton réprobateur.
– Nous en sommes désolés, intervient Sing-sing, pour éviter de froisser la vitrailliste. Faites, j’ai hâte de vous voir à l’œuvre.
Cléo accepte de bon gré les excuses de Sing-sing. Elle le fait d’autant plus, que cela lui permet de leur faire découvrir son travail. D’un signe de la main elle les entraine plus loin. Elle leur montre le processus de création, à commencer par l’atelier dessin. La première étape consiste à imaginer, puis à dessiner la scène à représenter. Il faut aussi choisir les couleurs du décor, des personnages. Le mieux est de la réaliser grandeur nature. Ensuite, vient la création de la maquette, la scène est recréée, les traits sont accentués pour morceler l’ouvrage, en vue de sa découpe.
– C’est à partir de cette maquette, que nous coupons le verre en pièces, juste au-dessus de celle-ci, continue Cléo. Avec la technique au plomb, il n’y a pas d’ajustement nécessaire des morceaux de verre, l’on peut passer directement au sertissage.
– À vous écouter, cela parait simple et facile à faire, s’étonne Sing-sing.
– C’est vrai que c’est long et fastidieux à réaliser, répond Cléo. Mais ce serait pire, si nous devions faire des découpes précises pour ajuster les éléments. Le verre est fragile, il y aurait beaucoup de ratés.
Au fur et à mesure de sa présentation, Cléo les a ramenés vers le vitrail dont elle s’occupe. Joignant le geste à la parole, elle découpe des morceaux de verre couleur or, puis les place sur la maquette. Devant leurs yeux étonnés, les clés du paradis prennent forme dans les mains de Saint-Pierre.
Ni l’une, ni l’autre n’a remarqué que Charabias les a précédées. Masquant de son dos les gestes de ses mains et ses lèvres qui bougent. En fait, il jette un sort à la plaque de verre doré. Il vient enfin de comprendre le sens caché de l’énigme. Ce jour est vendredi de la Pâque, voilà pourquoi ils devaient assister à la finalisation du vitrail. Du moins à la découpe et à la pose des fameuses clés. Il sait maintenant, qu’après un nettoyage minutieux, le vitrail sera prêt à être posé ; que c’est à ce moment précis que sa version magique, va alors se matérialiser dans sa galerie.
Il vient aussi de comprendre pourquoi dans sa galerie, un vitrail tiré de la vie de Saint-Pierre, n’en faisait pas encore partie. Charabias commence à reprendre espoir. Les pièces de l’énigme s’assemblent, échapper à la malédiction qui le retient prisonnier depuis des siècles semble enfin possible.
Une petite voix lui susurre dans sa tête que le temps presse. Pour s’en persuader, il n’a qu’à se regarder dans un miroir. Le processus de rajeunissement est terminé. Il est à nouveau le jeune homme, apprenti mage, indiscipliné et inconscient des dangers, prêt à tenter le diable pour montrer qu’il est prêt à jeter des sorts complexes.
– Nous devons nous hâter, déclare Charabias, en saisissant les mains de Sing-sing dans les siennes.
Ce contact pressant électrise la damoiselle, mais ses yeux n’arrivent pas à se détacher du beau visage du mage. Il est maintenant à peine plus âgé qu’elle, elle en est certaine. Un étrange émoi lui étreint le cœur et ce n’est pas lié au ton alarmé de sa voix. Curieusement elle s’avoue enfin que le seigneur de la cité ne s’était pas trompé. Elle éprouve des sentiments pour le mage.
– Votre visage, Charabias, dit-elle en balbutiant.
– Je sais, répond-il laconiquement. Nous n’avons pas le temps de nous attendrir. Nous devons au plus vite retourner voir le tailleur.
– Mais nous n’avons pas gagné les cliquailles nécessaires, dit-elle, en se laissant entrainer par la main.
– Que nenni douce damoiselle, dit-il en sortant une bourse cachée dans un repli de ses affublements. Le seigneur a récompensé votre noble attitude au tournoi. Et j’en suis d’autant plus fier.
– Cela me soulage, soupire-t-elle. Je ne pouvais concevoir de gagner en trichant. J’avais trop honte d’avoir accepté l’aide de votre magie.
Leurs regards se font complices, les mots sont inutiles. Et somme toute, les cliquailles qui sonnent dans la bourse les rappellent à l’ordre. Il n’est plus temps de tergiverser. Sans attendre, il l’entraine vers le vitrail du tailleur. En chemin, il lui explique ce qui se passe. Le vitrail de Saint-Pierre va très bientôt se matérialiser en ces lieux. Il est impératif que tous deux soient devant celui-ci, vêtus de leurs plus beaux atours, pour que la magie opère.
Le tailleur les accueille avec plus de chaleur que la fois précédente. Ses yeux reluquent la bourse pleine, que Charabias sort de sous sa robe rapiécée.
– Pour vous brave et émérite tailleur, annonce le mage, en étalant plusieurs pièces d’or sur l’étal de celui-ci.
Le tailleur les ramassent avec avidité, tout en jetant un regard appuyé sur la bourse du mage.
– Votre bourse n’est pas vide, dit-il mielleusement. Soulagez-vous donc du reste, mon bon mage. Ne vous ai-je pas fait de la belle ouvrage dans du tissu imprégné de charme.
– Si fait tailleur ! lui répond Charabias, en faisant non de la tête. Je dois conserver ces dernières cliquailles pour une affaire importante.
D’un geste dédaigneux, le tailleur leur montre les atours prêts à être enfilés et leur désigne un coin avec des tentures. Sur ce, il les ignore et les laisse aller se changer.
Une fois parés, Charabias et Sing-sing quittent l’atelier du tailleur sans un mot, celui-ci ne daigne même pas lever la tête de son ouvrage. De retour dans la galerie, ils fouillent du regard les lieux, à la recherche du moindre changement.
– Là-bas ! s’écrie-t-elle, en désignant un vitrail plus haut que les autres. Celui qui dépasse.
– C’est ma foi vrai, ce vitrail n’était pas céans auparavant, clame joyeusement le mage. Hâtons-nous.
Arrivés devant, ils s’arrêtent, ils sont en admiration devant le travail accompli. C’est bien le vitrail qui relate un des événements de la vie de Saint-Pierre. Seule la partie haute de l’original, est représentée céans, celle où l’apôtre, y tient dans ses mains les fameuses clés.
Ils sont tellement subjugués qu’ils en oublient le principal.
– L’offrande ! s’exclame Sing-sing, en revenant à la réalité.
Charabias réagit enfin et étale sur le sol, le contenu restant de sa bourse. Quelques pièces d’or en guise d’offrande, pour que l’énigme soit enfin finalisée.
– Vitrail enchanté voici, joiler cliquailles, pour verrine luminer ! annonce solennellement Charabias.
Pour les deux égarés du temps, tout ce qui devait être fait est maintenant accompli. Il ne leur reste plus qu’à espérer. À espérer qu’ils ne se sont pas fourvoyés et qu’ils ont déchiffré correctement l’énigme.
Pourtant, les minutes s’égrènent inlassablement et rien ne se passe. Leur moral s’en ressent, ils ne savent plus que penser. Dommage Charabias devrait tirer les leçons de ses malheureuses tentatives, de ses nombreuses expériences dans l’Entre-deux-mondes. Il devrait se souvenir de son intemporalité, se rappeler qu’en ces lieux, le temps n’en fait qu’à sa guise. Qu’il ne se compte pas en minutes, heures, jours, ni même en années.
Pour preuve, pour eux, à peine une heure s’est écoulée entre la finalisation du vitrail de la vie de Saint-Pierre et le dépôt des cliquailles au pied de celui-ci. Pourtant, ils s’attendent déjà à être le lundi de la Pâque, jour de l’événement libérateur. Celui de ce que les croyants nomment un miracle.
– Patience mage, susurre une voix provenant du vitrail. Même si le temps n’a pas prise sur l’Entre-deux-mondes, il en va autrement dans le monde réel. Il doit se mettre en phase.
Tous deux se regardent, cherchant à comprendre le message qui leur parvient du vitrail.
Sing-sing et Charabias se regardent incrédules, dans leur tête tout se bouscule, le temps est le point clé de tout.
– Votre temps et le mien sont différents ! s’exclame Sing-sing.
– Si fait, répond Charabias, nous vivons à des époques différentes, ce doit-être la cause du blocage du sortilège.
– Pas différentes, intervient-elle. Mais décalées de plusieurs siècles.
– Un décalage dans le temps ! s’écrie Charabias, en cherchant à comprendre.
– Pas dans le temps, mais du temps, conclut Sing-sing. Il faut que le temps se synchronise entre toutes ces époques.
– Donc il nous faut attendre, affirme Charabias, en croisant les doigts pour conjurer le sort qui s’acharne sur eux.
La patience n’est pas leur fort et ils sont prêts à aller prendre du repos, la tension de ces derniers jours se fait ressentir. En réalité, si le vitrail est finalisé un vendredi de Pâque au moyen-âge, l’offrande, elle, est déposée plus tard. C’est donc un lundi de Pâques, mais dans le futur, que doit s’accomplir le sortilège.
Soudain, le vitrail s’illumine, les clés d’or tenues dans les mains de Saint-Pierre luisent de mille feux. Un arc-en-ciel venu de nulle part traverse le vitrail. Il englobe Charabias et Sing-sing de toutes ses couleurs, aspirant le couple vers le vitrail.
Fin
Mais est-ce vraiment la fin ? Comment cela peut-il vraiment se finir dans un Entre-deux-mondes ? N’y a-t-il pas le choix entre deux fins ?
Celle qui laisse le libre choix d’en choisir le bon déroulement, de l’inventer selon sa propre imagination. Imaginaire qui veut que ce soit une fin heureuse, que l’idylle frémissante se concrétise dans le monde réel. À moins que ce choix, ne soit en réalité empreint de désagréments. Imaginaire qui décide que cette fin doit-être de rester à jamais prisonniers du vitrail, ou à défaut de l’Entre-deux-mondes.
À moins que ce ne soit, celle que l’imaginaire de l’auteur, vous laisse découvrir dans l’épilogue de cette étrange histoire…
Chapitres précédents :
- Le Mystère du vitrail Part 1/16
- Le Mystère du vitrail Part 2/16
- Le Mystère du vitrail Part 3/16
- Le Mystère du vitrail Part 4/16
- Le Mystère du vitrail Part 5/16
- Le Mystère du vitrail Part 6/16
- Le Mystère du vitrail Part 7/16
- Le Mystère du vitrail Part 8/16
- Le Mystère du vitrail Part 9/16
- Le Mystère du vitrail Part 10/16
- Le Mystère du vitrail Part 11/16
- Le Mystère du vitrail Part 12/16
- Le Mystère du vitrail Part 13/16
- Le Mystère du vitrail Part 14/16
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