
Le Mystère du vitrail [Part 16/16]
Épilogue
La messe est terminée, les fidèles sont partis. Mis à part quelques trainards nostalgiques, qui arpentent les allées de la cathédrale. Ils en profitent pour admirer les vitraux, pendant que les enfants de chœur, les bénévoles, se chargent de tout remettre en place. Les prêtres se sont tous retirés. Dehors le temps est capricieux, il y a du soleil, entrecoupé d’averses.
Soudain, le vitrail de Saint-Pierre est traversé par un arc-en-ciel.
Deux silhouettes se dessinent à l’intérieur, elles bougent. La lumière multicolore s’estompe. Devant les yeux ébahis des badauds, un couple vient de se matérialiser.
– Je suis de retour ! s’exclame la jeune femme, tout à sa joie.
Elle est vêtue d’une robe de soirée, d’un bleu, comme celui d’un vitrail de Chartres. C’est une asiatique. Quant à lui, il fait penser à un pingouin, engoncé dans son costume trois pièces noir à queue de pie. Il fait tâche dans ces lieux, avec sa cape, son chapeau haut de forme et sa cane noire à pommeau d’argent.
Voyant que leur arrivée sème le trouble, Sing-sing réagit au quart de tour. Le sortilège a fonctionné, ils ont traversé, quitté l’Entre-deux-mondes. Même que le sortilège s’est amusé avec l’affublement du mage. Sa robe de mage a disparu, remplacée par des habits de soirée.
– Mon compagnon est magicien, explique-t-elle dans un Français contemporain parfait. Nous testons le final de notre nouveau spectacle.
Devant l’incrédulité des personnes présentes qui les regardent, elle continue sur sa lancée. Elle sait que plus le mensonge est gros, plus il a de chance d’être accepté.
– Nous voulons l’appeler, le mystère du vitrail. Nous n’avons pas résisté à la tentation de le tester une dernière fois dans un décor grandeur nature. Je vous présente Charabias le magicien.
La magie du vitrail continue, voilà qu’elle parle couramment la langue de Molière. Fort heureusement, les expressions médiévales se font discrètes. Alors, faisant une courbette pour dérider l’assistance, elle désigne d’un geste ample et théâtral son compagnon. Sing-sing en profite pour jeter un bref coup d’œil vers le vitrail et elle pousse un soupir de soulagement. L’arc-en-ciel a disparu, le vitrail est intact. Ils peuvent donc s’éclipser, avant que les questions indiscrètes pleuvent.
Charabias lui est sous le choc, le sortilège a fait son œuvre. Le voilà de retour sur Terre, en France, dans sa ville de Chartres. Sauf que l’époque est celle de Sing-sing et qu’il va devoir tout réapprendre. Que tout ce qu’il connait a disparu depuis des siècles. La magie se montre tout de même généreuse, il n’est pas seul. Celle qu’il s’est choisi comme compagne pour sa nouvelle vie, est là. Elle est près de lui et il sait qu’elle ne va pas l’abandonner. C’est donc sans faire le moindre geste de résistance, qu’il se laisse entrainer par sa damoiselle, vers le grand portail de la cathédrale.
Dehors le soleil l’éblouit, les sons, les bruits le tétanisent, mais il va bien finir par s’y habituer. Sing-sing l’a prévenu, la vie à son époque est trépidante, les charriotes n’ont pas de chevaux. Il arrive même que l’on se déplace dans les airs dans de grands oiseaux de métal. Un long voyage les attend, après la France, ce sera le pays du matin calme. Pourtant elle hésite, se ravise et l’entraine dans l’ombre du portail. Leur tenue n’est pas adaptée, ils vont attirer l’attention. C’est alors, qu’elle plonge dans le souvenir d’une scène passée et des paroles échangées avec le tailleur.
C’était pendant que le mage s’habillait.
– Tailleur, vous me cachez des choses, ce velours n’est pas qu’un simple bout de tissu, lui déclare-t-elle, pour lui soutirer ce qu’il ne leur dit pas.
Pris en défaut, le tailleur tente d’éluder la question qui le dérange. Mais la damoiselle se plante devant lui, les poings sur les hanches. Son regard courroucé, ne lui dit rien qui vaille. Tout bourru qu’il est, il n’en mène pas large, face à cette donzelle en furie.
– Soit ! Je vais vous le dire, soupire-t-il pour avoir la paix.
– Je suis toutes ouïes, dit-elle sans quitter son masque de fermeté.
– Le cordonnier et moi avons un accord, déclare-t-il. C’est lui qui a commencé, il a façonné vos souliers avec un cuir très particulier. Je ne pouvais donc être en reste, je devais faire de même avec le velours de vos affublements.
– Expliquez-vous, je dois me changer promptement.
– cuir et le velours que nous avons utilisé, sont imprégnés d’un charme magique. Il suffit que celui ou celle qui les porte, prononce les mots qu’il faut.
Alors, le tailleur murmure la formule à l’oreille de Sing-sing, pour que personne d’autre ne l’entende. Puis, il lui fait signe d’aller se vêtir comme il se doit.
De retour au temps présent, la damoiselle prend les mains de son compagnon dans les siennes. C’est à ce moment précis, après un regard aux alentours, qu’elle prononce les mots du tailleur.
– De l’Entre-deux-mondes, chausses et affublement, céans vêtir de bon aloi.
Le tailleur l’a prévenue, le charme a lui aussi son petit caractère. Il n’en fait qu’à sa tête et est seul juge de ce qui doit être porté. Un léger brouillard les enveloppe, leur mise change. Le costume du magicien se transforme. Charabias se retrouve habillé d’un pantalon de velours, de chaussures récentes. Il porte aussi un pullover à col roulé qui moule son ventre plat et sa musculature bien proportionnée. Pour finaliser le tout, un long manteau avec ceinture, genre détective et un feutre sur la tête.
Sing-sing trouve que cela lui va à ravir, le sortilège a bon goût et elle s’en félicite.
– Voyons ce que le charme a fait pour moi, soupire-t-elle, avec une légère crainte dans la voix.
Pour elle aussi le sort est bienfaisant, la voilà vêtue de son tailleur fétiche, toujours aussi bleu. Pour compléter sa mise, de petites bottines et un long manteau rouge pour la protéger du froid. C’est lundi de Pâques après tout, c’est le mois d’avril et comme ils disent en France, en avril, ne te découvre pas d’un fil.
La brume s’est estompée. Alors qu’ils descendent les marches du perron de la cathédrale, Sing-sing est moins rassurée qu’elle veut bien le laisser paraître. Elle ignore pour le moment la durée de son absence. Certes, elle va prétexter qu’elle s’est fait discrète, pour profiter de son idylle avec son compagnon. Pourtant elle craint un peu la réaction de sa famille.
– Eomma, Appa, vous aussi vous allez l’aimer, soupire-t-elle d’une voix inaudible.
Tout est bon pour elle, pour se convaincre que cela va bien se passer. Enfin ce n’est pas si grave, si elle réapparait sans crier gare. Elle va se présenter avec un compagnon, un Français et un non asiatique de surcroit. En plus c’est un magicien et il est totalement inconnu. Elle ne peut pas faire pire pour des retrouvailles !
– J’ai confiance ! affirme-t-elle, avec une conviction qu’elle est loin d’éprouver. Ils vont être enchantés. C’est obligé, moi j’ai bien succombé à son charme. Alors pourquoi pas eux.
– S’il le faut je donnerai un petit coup de pouce à ma façon, dit Charabias, qui vient d’entendre ses derniers mots.
Tous deux se regardent longuement, droit dans les yeux. La malice qui transparait dans ceux du mage, surprend Sing-sing. Elle se rend compte, qu’en fait il a tout entendu. Sa tentative de masquer ses craintes dans un filet de voix a été vaine.
Tant pis, advienne que pourra, Sing-sing prend la main de Charabias et traverse le parvis de la cathédrale de Chartres, d’un pas ferme et décidé. En route pour l’avenir.
Pendant ce temps-là dans la cathédrale, les bénévoles, les visiteurs encore sur place s’interrogent. Comment est-il possible que des profanes aient obtenu l’autorisation, d’exécuter un tour de magie aussi risqué pour le vitrail de Saint-Pierre ? Qu’est-il passé par la tête des responsables religieux, en charge de ce patrimoine historique ?
Alors que les deux rescapés de l’Entre-deux-mondes filent vers un avenir meilleur, les dernières paroles de Cléo s’insinuent dans l’esprit de Sing-sing et celle-ci fait une étrange grimace.
– Entendez mes paroles, femme d’un autre temps. J’ai vu Charabias jeter un sort à ma verrine, mais il ignore que le vitrail à sa propre magie.
Charabias lui a dit un jour qu’elle était la Clé, o combien précieuse de son salut. Il devait penser qu’elle allait lui façonner cette clé dans un vitrail. Sing-sing doit se souvenir de ceci. Dans le vitrail, Cléo a façonné les clés de Saint-Pierre. Non pas une clé, mais des clés. Ce qui signifie qu’il y en a plusieurs. Alors, il se peut qu’un jour peut-être, elles se rencontrent à nouveau, même si c’est dans un autre temps, qui peut savoir. La magie du vitrail, est aussi dans les mains qui le façonne.
« Oyez ! Oyez ! vous qui venez de prendre connaissance de ce récit, sachez que l’Entre-deux-mondes est facétieux, voire capricieux. Soyez-en persuadés, la magie du vitrail n’en a pas fini avec ces deux-là. ». Prédiction de l’auteur en l’an de grâce du 13 mai 2024…
Chapitres précédents :
- Le Mystère du vitrail Part 1/16
- Le Mystère du vitrail Part 2/16
- Le Mystère du vitrail Part 3/16
- Le Mystère du vitrail Part 4/16
- Le Mystère du vitrail Part 5/16
- Le Mystère du vitrail Part 6/16
- Le Mystère du vitrail Part 7/16
- Le Mystère du vitrail Part 8/16
- Le Mystère du vitrail Part 9/16
- Le Mystère du vitrail Part 10/16
- Le Mystère du vitrail Part 11/16
- Le Mystère du vitrail Part 12/16
- Le Mystère du vitrail Part 13/16
- Le Mystère du vitrail Part 14/16
- Le Mystère du vitrail Part 15/16
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